Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

lundi 2 juin 2014

Les Merveilles, Chroniques et Légendes du Bois des Biches- (3)

Les sept cèdres rouges-

Au temps où des forêts couvraient nos champs de blé, où les villages n’étaient que quelques huttes blotties dans une clairière, il y avait sept braves ; sept chasseurs infatigables ; sept guerriers indomptables. Quand ils partaient à la chasse, le gibier semblait venir tout seul s’embrocher sur leurs flèches. Quand ils étaient en guerre, l’ennemi s’offrait sans résistance à leurs coups. Ils avaient en outre de grands pouvoirs ; ils savaient faire venir la pluie, et à peine approchaient-ils un malade que le mal s’envolait comme effrayé à leur vue.
Hélas, un jour, on ne les vit plus au village ; ils avaient disparu et ne restait que leur souvenir et le regret de leur absence. Pourtant la vie continua, des enfants naquirent, grandirent et devinrent des hommes.
 Or, voici que l’un d’eux se trouvait à l’âge où l’on doit avoir le rêve ou la vision qui indique quel homme devenir ; il s’éloigna du village pour jeûner et méditer. Il marchait à l’orée de la forêt, face à la plaine qui s’étendait à perte de vue jusqu’aux nuages, quand il vit dressées devant lui, sept pierres gigantesques, hautes deux fois comme un homme. Très impressionné, il s’approcha et entendit une des pierres lui parler ; elle disait cette pierre, qu’il était là en présence des sept chamans disparus.
Tout chamboulé, il rentra au village et raconta sa vision au sorcier, qui lui demanda de le conduire à l’endroit où il avait vu les pierres. Suivis du chef et des plus sages guerriers, ils se rendirent près de la falaise. Ce n’était pas un rêve : là où rien n’était auparavant, se dressaient les sept pierres.
Les hommes et les femmes prirent l’habitude de venir les invoquer pour la chasse ou la guerre, pour le soleil ou la pluie, pour la naissance des enfants ; on apportait là les malades qui, une fois les sept pierres touchées, retrouvaient la santé. Au fil du temps, les rochers donnèrent tous les bienfaits que dispensaient avant les sept braves disparus.
Et la stupeur fut grande quand un jour, au bord de la falaise  ne se dressaient plus sept pierres mais sept grands arbres ; sept cèdres rouges.

Le sorcier s’enferma longtemps chez lui ; on entendit jour et nuit battre le tambour ; des fumées et des odeurs étranges s’échappaient de sa demeure. Quand enfin il sortit, il put révéler ce qu’il avait appris. Il avait appris les vertus bienfaisantes du Cèdre Rouge, un arbre qui aide les hommes à vivre et à guérir. On rendit aux arbres le culte qu’on avait rendu aux pierres, puis un jour, dans un grand frémissement de feuilles et de branches, les esprits des chamans s’envolèrent. Leur mission accomplie, il était temps pour eux de prendre leur place parmi les étoiles. Leurs corps devenus des arbres, restés sur terre se sont multipliés afin que les hommes puissent utiliser leur force miraculeuse. Et longtemps les hommes de la forêt, ont célébré les saisons en jetant dans le feu des copeaux de cèdre rouge.

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