Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

jeudi 15 mai 2014

La Rose et le Maître du Jardin



Dans les jardins d’un roi d’Arménie, un rosier n’avait jamais fleuri.
Pourtant, les oracles avaient dit que sur ce rosier, peut-être, un jour, viendrait un rose qui donnerait au maître de jardin la jeunesse éternelle.
Pensez si le roi tenait à ce rosier auquel un jardinier particulier était affecté. Tous les matins, le roi venait examiner chaque branche, guettant entre les feuilles le moindre renflement qui serait une promesse de bouton et chaque matin, il était déçu. D’ailleurs, ce rosier était loin d’égaler la beauté des autres rosiers du jardin. Alors que chaque parterre croulait sous les fleurs, que les grimpants montaient à l’assaut des murs, des arbres et des treillis, que chaque arbuste étalait des corolles rivalisant de couleurs et de parfums, ce petit rosier, dans son coin, tendait des branches sèches, aux feuilles racornies, rabougries et naturellement sans le moindre soupçon de promesse de fleur. Et chaque année, à la fin de l’été, le roi mécontent, faisait exécuter le jardinier.
Douze ans se sont écoulés ; douze années sans la moindre rose. Au douzième automne, le douzième jardinier fut mis à mort et personne ne se présenta pour prendre sa place.
Un tout jeune homme enfin, demanda audience. Voyant ce garçon, presque un enfant encore,qui ne pouvait avoir aucune expérience, le roi pris de pitié, lui demanda s’il savait bien ce qu’il risquait.
-« Parfaitement, dit le garçon ! Ma vie pour celle de ce rosier.
Le jeune homme fut conduit près du rosier. Il le considéra longuement, commença par le débarrasser de ses branches morte, tailla les autres pour lui donner une jolie forme, gratta la terre à son pied et ôta toutes les herbes qui pouvaient le gêner. Tous les matins, il lui donnait un peu d’eau, délaçait les liserons qui grimpaient dans les feuilles ; il allait aux cuisines et dans les écuries, emplissant des seaux de cendres et de crottins pour le nourrir. Il lui parlait, lui chantait des airs gais. L’hiver venu, il l’entoura de paille pour qu’il n’ait pas froid. Et le rosier se laissait faire…
Au premier soleil, aux premiers jours tièdes, toutes les fleurs, toutes les roses du jardin du roi, étalaient leurs corolles, répandaient leurs parfums. Le jeune homme ne les regardait pas ; il n’avait d’yeux que pour son rosier qu’il aimait comme on aime un enfant, une fiancée. Mais le rosier restait triste et aucune promesse de fleur ne garnissait ses rameaux. Le jardinier en était consterné ; pas pour sa vie, il avait oublié ce qu’il risquait, mais par amour pour cet arbuste qu’il avait tant soigné et qui ne voulait pas guérir d’un mal qui visiblement le rongeait.
« Où as-tu mal ? lui dit-il un matin, en caressant doucement ses feuilles.
Alors, baissant les yeux, il vit sortir des racines, un gros ver, noir, horrible, dégoûtant ; il allait le ramasser pour le détruire, quand un oiseau, plus rapide, saisit le ver dans son bec, s’envola et disparait dans le bleu du ciel. Le jardinier, étonné, le chercha des yeux un moment, puis son regard revenant au rosier, il discerna sur une branche un léger renflement. De jour en jour, il devint évident qu’un bouton se formait et bientôt, par un beau matin  de juin, une rose étala le carmin de ses pétales. Fou de joie le garçon courut au palais et fit réveiller le roi.
-«  Sire, dit-il, quand il fut admis dans la chambre du monarque, Sire, vous êtes immortel !
Le roi fit poster des gardes près du rosier ; nul sinon son jardinier ne devait en approcher et jusqu’à sa mort, il avait ordre d’en prendre le plus grand soin.
Dix ans se sont passés, pendant dix ans les roses se sont renouvelées et cependant, le roi vieillissait. Le jardinier, lui, restait ferme et droit ; il jouissait d’une inaltérable santé alors que le roi déclinait. Vint le temps où il dut renoncer au jardin, puis garder la chambre, puis le fauteuil et enfin le lit dont il ne sortit plus. Le jardinier qui le soignait avec autant de dévotion qu’il avait soigné le rosier, était devenu son confident.
Quand vint le dernier soir, le roi déçu lui dit : « Tu vois, les légendes sont des mensonges, j’ai cru à la Rose d’Immortalité et cependant, je meurs ! »
« Non, sire, la légende a dit vrai, mais vous, vous êtes trompé ! Vous n’étiez pas le Maître du Jardin. Le Maître du jardin n’est pas celui qui le possède, mais celui qui l’aime et qui en prend soin. »
Le roi, qui avait enfin compris poussa un soupir qui fut le dernier. Et la jeunesse éternelle resta au jardinier puisque tout le monde le sait : « De mémoire de rose, on n’a jamais vu mourir un jardinier ! »



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