Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mercredi 5 mars 2014

Adonis







Au temps où les dieux parlaient aux mortels, l’épouse du roi Cyniras de Chypre, osa prétendre que sa fille -sans doute voulait-elle lui trouver un époux- égalait Aphrodite en beauté.
Celle dont dépend tout amour sur la terre déteste par-dessus tout,  les jeunes filles qui tentent de rivaliser avec elle. Pour lui apprendre à se tenir à sa place, elle envoya un charme sur cette jolie Myrrha qui, allez-vous le croire, tomba éperdument amoureuse du roi, son père.
Amoureuse et désespérée. Elle savait cet amour impossible, n’en dormait plus, ne mangeait plus. Elle devint pâle et maigre au point que sa nourrice en fut alarmée. Embrassée, cajolée, la jeune fille finit par avouer la cause de son tourment. Sans trop savoir encore comment elle allait s’y prendre, l’imprudente femme lui promit de l’aider. L’aider à quoi ?
Les nourrices qui veulent à n’importe quel prix réaliser les voeux de leurs pupilles,  sont légions, de même que leurs mauvais conseils et les drames qui en résultent. Celle-ci ne fit pas exception à la règle.
La reine, en tant qu’épouse légitime, participait  en ce temps-là, aux Thesmophories, qui sont des fêtes données en souvenir du deuil de Déméter. La règle était de jeûner et d’observer une stricte abstinence sexuelle.
Voilà qui favorisait le projet de la nourrice. Elle prépara un vin d’herbes aphrodisiaques qu’elle fit boire à Cyniras, et pour apaiser cette fièvre qu’elle avait provoquée,  lui proposa pour remplacer la reine absente, de faire venir une prostituée sacrée, à la seule condition que le roi ne la verrait pas.
« Pourquoi, demanda-t-il, elle est donc laide ? »
« Non, mais elle est vierge, et a fait le vœu de cacher son visage au premier homme à qui elle se donnerait. »
Le roi accepta et la nourrice employa tout le jour à préparer Myrrha pour sa nuit d’amour. Bains, massages, huiles parfumées, vins herbés, la nourrice n’épargna aucun effort et le soir venu, conduisit jusqu’à la chambre de son père, la jeune fille tremblante de désir, de crainte  car elle était vierge, et de honte aussi puisqu’elle ne pouvait ignorer l’inceste qu’elle allait commettre.
Le désir,  la crainte et la honte, que voilà un mélange aphrodisiaque ! Bien plus excitant que n’importe quel vin d’herbes !
Pour respecter le vœu de la vierge, la chambre n’avait d’autre lumière que les rayons de la lune qui laissait entrevoir sa silhouette parfaite et la blancheur nacrée de sa peau.
Sa peau que Cyniras trouva si douce…. La nuit d’amour fut torride, autant que les onze qui suivirent.
Ses devoirs religieux accomplis,  la reine revint au palais et toutes choses reprirent leurs places, les vins d’herbes procurant cette fois un oubli apaisant. Pour quelque temps….
Onze nuits d’amour avaient porté leur fruit, et  l’oubli, pour Myrrha devint impossible. Elle tenta, mais en vain, de cacher le pêché qui s’épanouissait dans ses flancs. Aux questions de sa mère, elle opposa un silence obstiné. Comment dire à la reine le nom du père de son enfant ?
 Questionnée à son tour, la nourrice avoua. Sans doute employa-t-on pour la faire parler des méthodes inapplicables à la fille du roi. Comment fut-elle punie ? Etranglée ? Jetée du haut d’une falaise ? On ne sait pas.
Cyniras, révolté, ulcéré du crime qu’on lui avait fait commettre, poursuit sa fille pour la tuer.
Aphrodite, prévenue, prend Myrrha sous sa protection, mais trop tard. Le roi est là face à la coupable, son épée dégainée. Il voit alors avec épouvante et stupeur, les jolis pieds de sa fille s’enfoncer dans le sol ; sa peau si douce et si blanche devenir noire, rugueuse et crevassée ; ses bras se dressent, tordus vers le ciel et ses cheveux hérissés frémissent au vent comme les feuilles de l’arbre qu’elle est devenue. Cyniras, affolé d’horreur, d’un coup d’épée fend en deux l’effroyable buisson. Ce n’est pas du sang, mais une sève odorante qui coule de la blessure, d’où sort en même temps, une enfant. Un bel enfant qui ne peut encore marcher. Pour le soustraire à la fureur du Roi, Aphrodite s’en empare, le cache dans un coffre qu’elle emporte tout au fond des Enfers. Et là, le confie à Perséphone. La souveraine du royaume des morts ne peut résister au désir de savoir quel trésor lui a confié la plus belle de l’Olympe. Elle ouvre le coffre et découvre le bébé, qu’elle adopte et élève comme son propre fils. Elle le nomme Adonis.
L’enfant pousse, considérant Perséphone comme sa mère. La reine des ténèbres le voit grandir en beauté, devenir adolescent. Quand il atteint l’âge d’homme, il est devenu si plaisant que la tendresse maternelle se transforme en une véritable passion amoureuse. Il n’est pas après tout, le fils de la déesse qui ne tarde pas à en faire son amant.
Aphrodite, n’avait pas oublié l’enfant issu de l’arbre parfumé. Estimant que son protégé  pouvait désormais sans risque prendre sa place parmi les hommes, elle descend aux enfers pour le ramener à la lumière.  Mais Perséphone n’a aucune envie de perdre son amoureux ; elle refuse de le laisser partir. Les déesses argumentent, se disputent se prennent par le chignon et font un tel tapage qu’on doit pour les calmer faire intervenir le Maitre des Dieux, Zeus en personne. Celui dont dépend le sort du Monde se moque pas mal de deux femmes qui se disputent un jouvenceau ; que le jeune homme choisisse celle des deux qu’il préfère.
Pour Adonis, la chose est simple. Certes il aime tendrement Perséphone, mais Aphrodite est là, devant lui, aux blonds cheveux répandus sur ses épaules, à la ceinture à demi nouée laissant entrevoir un corps si désirable que ses rêves ne lui en avaient jamais montré de pareil. Il s’embrase d’une passion telle qu’il n’a plus d’autre idée que celle de suivre la déesse dans son palais de Chypre, sans un regard pour Perséphone éplorée.
Adonis est au paradis dans les jardins d’Aphrodite. Il passe des nuits voluptueuses en compagnie de l’amour et de la beauté personnifiés et le jour, il se fait jardinier pour embellir encore le domaine de celle qu’il aime.
Aphrodite, étant immortelle, connaît l’avenir et sait qu’un danger menace son jeune amant. Elle lui recommande de ne jamais sortir du palais, de ne surtout jamais aller à la chasse. Adonis ne demande qu’à lui obéir. Qui de plus casanier qu’un ami des jardins pour qui l’aventure, l’émerveillement, se trouve dans chaque massif, au coin de chaque plate-bande ?

Cependant,  Perséphone est furieuse ; elle veut se venger de celle qui lui a pris tout à la fois son fils et son amour.  Elle va trouver Arès, le dieu de la guerre qui depuis longtemps est l’amant d’Aphrodite. Ares est jaloux, d’autant plus jaloux que lui-même n’est pas fidèle. Aussi tolère-t- les aventures de son amante : puisque aussi bien, c’est son rôle dans le monde. Pourtant cette fois, il ne s’agit pas d’une passade : Aphrodite aime Adonis. Alors au printemps, quand les dernières neiges attardées sous les branches cèdent la place aux tapis d’anémones, Arès profitant d’une absence de la déesse, envoie dans les jardins un sanglier énorme, une brute qui ravage, fleurs et pelouses, qui saccage les arbustes. Quel jardinier peut tolérer un sanglier dans son domaine ? Adonis rassemble, tous les jeunes gens, tous les serviteurs et leur donne des armes. Ils courent tuer le monstre, qui ne se laisse pas faire ; les flèches ricochent sur sa cuirasse velue, leurs piqûres l’énervent et le rendent encore plus combatif. Un jeune homme qui s’approche brandissant une épée est foulé aux pieds, Adonis, courageux, s’élance un poignard à la main, il frappe le monstre au défaut de l’épaule, mais la bête a le temps avant de mourir de l’encorner à l’aine. L’artère est tranchée et le jeune homme s’écroule dans une flaque d’anémones blanches encore. Le sang qui s’écoule de la blessure les teinte des couleurs que perd Adonis ; il gît exsangue, dans les fleurs devenues pourpres.
 Aphrodite accourue, le couvre de baisers veut lui insuffler la vie par sa bouche mais en vain. Elle pleure, la déesse, elle arrache ses vêtements, ses cheveux ; elle a perdu son amour. Il appartient désormais à sa rivale, il ne reviendra plus des Enfers.
Elle va crier son désespoir à Zeus. Qu’on lui rende Adonis, au moins quelques mois dans l’année. Le Maître des Dieux est ému : tant de larmes, tant de beauté. Et puis, il a besoin d’Aphrodite, ce grand coureur de jupons ; d’Aphrodite et de son fils qu’il vaut mieux ne pas mécontenter.
Alors, il décide : Adonis passera six mois aux enfers et dès le retour du printemps,  reviendra dans les jardins d’Aphrodite.
Aussi, dès qu’avril est venu, la sève monte, les oiseaux chantent le retour d’Adonis, l’innocent  dieu des jardins.




1 commentaire:

manouche a dit…

Les Dieux avaient vraiment une vie compliquée, vivent les mortels ! Beaux gosses de préférence ...

Les Chouchous