Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

vendredi 31 mai 2013

LES FAISEURS DE PLUIE



Un pré est bien vaurien
Qui en juin ne donne rien.




Juin doit son nom à Junon, la majestueuse épouse et sœur de Jupiter.
Si la Vierge Marie durant le mois de mai a contraint les fiancés à la plus chaste réserve, Junon en revanche, offre son mois de juin aux nouveaux mariés.
L’épouse par excellence patronne les unions légitimes.
Oui, mais voilà : les larmes que lui fait verser le volage Jupiter se répandent en averses intempestives sur les fêtes champêtres.

Médard, Barnabé, Protais, Gervais, Landry… Cette cohorte de saints faiseurs et défaiseurs de pluie montre bien à quel point juin est un mois sans foi ni loi, qui ne se sent jamais obligé de tenir ses promesses.
S’il accueille les mariages repoussés en mai, c’est pour mieux arroser les cérémonies et attaquer les poumons et les toilettes aériennes, des mariées, de leurs belles-mères et des demoiselles d’honneur. Il ruine le cuir fragile de leurs sandales claires sans omettre au passage de leur mouiller les pieds et rabat le caquet des chapeaux insolents.

jeudi 30 mai 2013

Le Temps des Foins

C'est le joli temps des fenaisons et le mois de l'été naissant:
"A l'Ascension quitte tes cotillons
A la Pentecôte retrousse tes cottes
A la Trillaneu quitte tout si tu veux".
A la fête des Vertejeunettes, Fayettes coquines des hautes herbes, les jeunes drôlettes, les gourgandines qui se plaisent aux amourettes et ne s'effarouchent pas d'en connaître plusieurs à la fois, déposeront sous leur lit une botte de foin qui leur fera autant de couches buissonnières qu'elles auront glané de brins d'herbe.

Pierre DUBOIS - Elficologue




mercredi 29 mai 2013

La Reine Mab...

Fée ou sorcière la Reine Mab??? Voyons ce qu'en dit Mercutio:


Elle est la fée accoucheuse et elle arrive, pas plus grande qu'une agate à l'index d'un alderman, traînée par un attelage de petits atomes à travers les nez des hommes qui gisent endormis. Les rayons des roues de son char sont faits de longues pattes de faucheux ; la capote, d'ailes de sauterelles ; les rênes, de la plus fine toile d'araignée ; les harnais, d'humides rayons de lune. Son fouet, fait d'un os de griffon, a pour corde un fil de la Vierge. Son cocher est un petit cousin en livrée grise, moins gros de moitié qu'une petite bête ronde tirée avec une épingle du doigt paresseux d'une servante. Son chariot est une noisette, vide, taillée par le menuisier écureuil ou par le vieux ciron, carrossier immémorial des fées. C'est dans cet apparat qu'elle galope de nuit en nuit à travers les cerveaux des amants qui alors rêvent d'amour sur les genoux des courtisans qui rêvent aussitôt de courtoisies, sur les doigts des gens de loi qui aussitôt rêvent d'honoraires, sur les lèvres des dames qui rêvent de baisers aussitôt ! Ces lèvres, Mab les crible souvent d'ampoules, irritée de ce que leur haleine est gâtée par quelque pommade. Tantôt elle galope sur le nez d'un solliciteur, et vite il rêve qu'il flaire une place ; tantôt elle vient avec la queue d'un cochon de la dîme chatouiller la narine d'un curé endormi, et vite il rêve d'un autre bénéfice ; tantôt elle passe sur le cou d'un soldat, et alors il rêve de gorges ennemies coupées, de brèches, d'embuscades, de lames espagnoles, de rasades profondes de cinq brasses, et puis de tambours battant à son oreille ; sur quoi il tressaille, s'éveille, et, ainsi alarmé, jure une prière ou deux, et se rendort. C'est cette même Mab qui, la nuit, tresse la crinière des chevaux et dans les poils emmêlés durcit ces noeuds magiques qu'on ne peut débrouiller sans encourir malheur.
C'est la stryge qui, quand les filles sont couchées sur le dos, les étreint et les habitue à porter leur charge pour en faire des femmes à solide carrure....

William SHAKESPEARE - Romeo et Juliette

lundi 27 mai 2013

Dictionnaire de Zoodiac : Le Héron

HERON.



 Signe au longues pattes, influencé par la planète Rivière. Les natifs du Héron sont des gens difficiles et qui ont souvent du mal à faire un choix ; ce qui peut les conduire à se retrouver le bec dans l’eau.   

Ecoutez bien...


Je me promenais dans le village
en me vantant d'avoir les meilleures oreilles
et de pouvoir entendre les choses
à distance, avant tous les autres.
Et j'avais raison! Jusqu'à ce que je rencontre le lynx.
Il s'avança et dit "J'ai de meilleures oreilles que toi."
Alors on a fait un concours. Tous les deux
Nous nous sommes assis au milieu de village
écoutant.
Je fis le voeu que les oreilles du lynx s'emplissent de boue
mais il les nettoya.
Et je vis ses oreilles s'incliner!
Il entendait quelque chose.
Il entendait toujours 
et inclinait ses oreilles.
Je fis un voeu et envoyai de l'huile de merlan, de la boue et
de la mousse
dans ses oreilles.
Mais c'était trop tard.
A la fin il dit " Un loup vient juste d'abandonner
sa chasse
à l'étang du castor."
Tout le monde était intrigué.

"Je n'ai rien entendu" dis-je.

"J'ai tout entendu
arriver" dit-il
et il nettoyait encore ses oreilles.

Alors un homme alla à l'étang du castor.
Il revint et dit "C'est vrai!
Il y a des traces de loup tout autour
et tant de coups de queue ont été donnés
par les castors qui s'alertaient les uns les autres
qu'il y a de grosses vagues dans l'étang!"

"J'ai tout entendu"
dit le lynx.

Je m'énervai "Le loup lui avait dit
à l'avance où il irait chasser... non
je veux dire les castors savaient... non
je veux dire cette boue que j'ai envoyée
dans ses oreilles l'a plutôt aidé...
ce que je veux dire, c'est qu'il devrait y avoir un autre
concours
pour le donner ma chance!"

Mais il était trop tard. Tous
avaient mis de la boue dans leurs oreilles pour ne pas m'écouter.

Howard A. NORMAN - L'Os à Voeux

dimanche 26 mai 2013

Enfin... il a fleuri...




Dans la nuit de Beltaine, du 30 avril au 1° mai, les Celtes offraient à l’été naissant des bouquets d’Aubépine.
Offrir du muguet au lieu d’aubépine est une tradition relativement récente.
L’histoire voudrait qu’en 1561, Louis de Girard, agent secret à la solde de Catherine de Médicis, de retour d’Italie, offrît à Charles IX un brin de muguet.
L’année suivante, le roi en distribua  à toutes les dames de la cour pour leur porter chance et fit le vœu que la tradition se perpétuât.
Il fut entendu et depuis, des villes comme Compiègne, Rambouillet ou Chaville, organisent des défilées de chars fleuris et élisent la Reine du Muguet.
Dans la seconde moitié du XX° siècle, Christian Dior, couturier parisien, crée un parfum à la senteur de muguet. Il le lance un jour de premier mai en offrant quelques brins à ses clientes.. Ces dames trouvèrent l’attention charmante et Monsieur Dior fit du muguet la fleur fétiche de sa maison. Depuis, à chaque nouveau défilé, on vaporise du muguet dans les salons, ce qui enchante les clientes et donne la migraine aux vendeuses.
Mais le muguet se moque de ces mondanités ; il pousse modestement au fond des bois depuis que Léonard, un guerrier compagnon de Clovis, lassé des combats, se retira dans un ermitage, bien résolu à ne plus jamais se servir de ses armes. Hélas, un monstrueux dragon vint le provoquer dans sa retraite. Il dut s’armer pour se défendre et parvint non sans peine à tuer le monstre. Chaque goutte de sang versée par l’ermite fit jaillir du sol une pousse de muguet.
Offrez à celle ou celui que vous aimez un bouquet de brins de muguet à 12 clochettes, entouré de feuilles de mauve et vous gagnerez son cœur à coup sur. Mais ne trichez pas ! Le brin doit avoir naturellement ses 12 clochettes et retirer ou en ajouter (comment ?) ferait effet contraire !
De même que, si offrir du muguet au premier mai porte bonheur, en donner avant ou après pourrait avoir de néfastes conséquences.
Le muguet mérite largement la réputation et les hommages qu’on lui rend.
Vous pouvez ne pas croire à ses vertus magiques, mais la science en fait également une plante bénéfique : il renforce la mémoire et les facultés intellectuelles ; humez son parfum avant d’entreprendre un travail créatif. Le mois de mai passé, une bougie parfumée au muguet vous aidera à penser.
La tisane de muguet serait un tonicardiaque dont il convient d’user avec prudence.
Moins dangereux : la racine fait disparaître les cors au pied ; mettre dans sa poche autant de racines que vous avez de cors et partez d’un pied léger.

En Allemagne, prendre garde à la Dame Blanche qui se tient auprès des plantes pour vous empêcher de les  cueillir.



vendredi 24 mai 2013

Invocation


Fées, répandez partout la rosée sacrée des champs.

William SHAKESPEARE- Le Songe d'une Nuit d'Eté-

dimanche 19 mai 2013

La Licorne





Ambroise Paré, médecin et Athanase Kircher jésuite, ont l’un et l’autre affirmé que les licornes n’existaient pas, pour la simple raison qu’ils n’en ont jamais vu!
C’est qu’il est très difficile, voire même impossible, d’apercevoir une licorne, animal farouche entre tous qui ne se laisse approcher que par des vierges au cœur pur.
C’est pourquoi la jeune Alice, mais elle n’était pas alors de ce côté-ci du miroir, a pu en approcher une. Mais, me direz-vous, Alice n’existe pas non plus ! Qui donc existe, et qui n’existe pas ???
« Voyez-vous, j’ai toujours cru que la Licorne était un monstre fabuleux, et je n’en avais encore jamais rencontré de vivante.
-Eh bien ! maintenant que nous nous sommes vues l’une l’autre, dit la Licorne, vous croirez en moi, et je croirai en vous. D’accord ?
-Oui, si vous voulez, dit Alice… »    (Lewis Caroll.)
Aussi, si votre corps est vierge et votre âme innocente et le second point me semble de beaucoup le plus important, allez tout au fond des forêts où la Licorne, éprise de liberté –elle peut mourir si on l’en prive- où la Licorne donc, a trouvé refuge.
Là, dans une clairière, assise sur un tronc moussu, attendez en silence… attendez la Licorne.
Vous la verrez gracieuse, aux yeux de biche, de la taille d’un poney à la robe immaculée ; elle porte barbiche soyeuse et bouclée et au milieu du front une longue corne torsadée.
Ne bougez, pas surtout… ne dites rien… d’abord prudente, bientôt joyeuse et bondissante, elle se couchera à vos pieds, posera sa tête sur vos genoux et se laissera caresser. Dans cet élan de tendresse et de confiance, il peut lui arriver de s’assoupir et c’est à vous alors de rester vigilante : c’est le moment que choisissent les chasseurs pour prendre et tuer la Licorne sans défense. Car le gracieux animal est chassé pour les nombreuses vertus de sa corne aux pouvoirs magiques, dont on dit qu’elle révèle le poison, rend limpide les eaux souillées des ruisseaux et des mares, qu’elle rend sobre l’ivrogne, et sage le fou ou que réduite en poudre elle est aphrodisiaque. Cruauté bien inutile puisque tout comme la ramure des cerfs, la corne tombe et repousse et qu’il peut arriver d’en trouver une cachée sous les feuilles mortes.
Veillez donc sur la Licorne endormie, et réveillez là quand vous apercevrez le chasseur. Vous pourrez voir alors le doux animal se changer en fauve, vous verrez fumer ses naseaux et ses yeux lancer des éclairs. La Licorne est combative et peut se montrer sauvage ; de sa corne acérée, elle peut embrocher le chasseur ou même la jeune fille aux laides pensées qui l’aura attirée dans ce piège ;
Certains chasseurs, pour prendre la Licorne, se placent devant un arbre, se laissent charger, pensant esquiver à le dernière seconde d’un pas de côté. La corne alors, fichée dans le tronc, la bête serait à leur merci. La méthode est risquée, car la Licorne est habile et le plus souvent, Dieu merci c’est le chasseur qui est embroché et livré à la fureur de son gibier.
Il existe sans doute encore bien des Licornes au fond des forêts. N’allez pas les chercher…
Par un beau jour de printemps, allongez-vous dans une clairière, écoutez les oiseaux chanter, regardez voler les nuages, laissez danser les feuilles au vent léger et il se peut, si votre cœur est pur, que dans un rayon de soleil, une Licorne vienne à vous et se laisse caresser.
N’essayez pas de l’attraper, ne tentez pas de l’apprivoiser… souvenez-vous… elle meurt si on la prive de liberté

Les Saint-Bonnet sur l'Almanach et des agapanthes au Jardin

samedi 18 mai 2013

Beltaine-


Voilà que nous ne sommes guère en avance pour parler de la fête du renouveau, de la nature, de la vie, du passage de la saison sombre à la saison claire. Beltaine, comme le muguet se fête le premier mai ou plus exactement dans la nuit du 30 avril au I° mai, tout comme de l‘autre côté du calendrier, Samain se fête dans la nuit du 31 octobre au premier novembre.
Liée au couple des dieux gaulois de la lumière, Bélénos et Bélisama, Beltaine fait l’objet de célébrations, de rites de passage de l’obscurité à la lumière, de la mort psychique à la renaissance spirituelle, du rythme froid hivernal au rythme chaud estival.
La légende dit que c’est au temps de Beltaine que les Tuatha dé Danann ont abordé les rives de l’Irlande. Pour cette raison, Beltaine est aussi associée au Royaume de la mer, le Grand Océan de l’Ouest, où l’on trouve l’Irlande mais aussi Avalon, Tir-na-nog (le Pays de la Jeunesse), Tir Innambéo (le Pays des Vivants), Tir Tairngire(le Pays de la Promesse), Tir N-aill (l’Autre Monde), Mag Mar(la Grande Plaine) et Mag Mell (la Plaine Hereuse).
Pour les Celtes, le Paradis n’est pas au ciel mais dans ces îles au milieu de la mer. Celui qui s’embarque sur la mer, navigue vers un monde meilleur. C’est ainsi qu’Arthur blessé à mort est conduit par Morgane vers Avalon.
Au VII° siècle, un récit Irlandais raconte que Bran, fils de Fébal, plongé dans un sommeil magique reçoit d’une fée un rameau d’argent. Il entreprend alors un long voyage vers l’île de la Joie, puis vers l’île des Femmes où il est reçu par la Reine des Fées.
Christianisée en 1106 par un moine Anglo-Normand, cette histoire devient le «Voyage de Saint Brandan  qui, suivi d’un groupe de moines s’en va sur l’Océan pour trouver le Paradis.

jeudi 16 mai 2013

L'innocent aux mains pleines


L'innocent aux mains pleines

Comme chacun sait, tous les jeudis à Brezolles, c’est jour de marché.
Au temps du comte Albert, il en était déjà ainsi. En ce temps là - c’était il y a longtemps, du temps où l’on menait les bêtes à pied- un paysan qui avait vendu sa vache rentrait chez lui. Passant le long de la Meuvette, il entendit les grenouilles : « Croûhuit, croûhuit, croûhuit !! »
Chantaient les grenouilles.
-Oh, les sottes bêtes ! leur lança le bonhomme ; c’est pas huit écus que j’ai vendu ma vache, c’est sept ! Sept, pas huit !
Mais les grenouilles continuaient : « Croûhuit, croûhuit, croûhuit !!! »
- Ah ! vous ne me croyez pas ? Eh bien, regardez  !
Et il tira de sa poche sept pièces d’argent :
-Tiens !  1, 2, 3, 4, 5,6 et 7
Et les grenouilles reprenaient : « Croûhuit, croûhuit, croûhuit…. »
- Oh, mais… c’est qu’elles sont têtues ! Allez ! Comptez donc vous- mêmes…
Et furieux, il lança les sept pièces d’argent dans la Meuvette.
Il s’assit sur la berge, attendant que les grenouilles aient fini de compter. Il attendit comme çà jusqu’à la nuit tombée et sentant la fraîcheur et l’humidité monter dans ses braies, il finit par perdre patience et se mit à insulter les grenouilles : «  Bande d’idiotes, il vous en faut du temps pour compter jusqu’à sept ! Vous pensez tout d’même pas que j’vas rester là toute la nuit en attendant que vous ayez fini ? Y’a la mère qui m’attend et la soupe qui refroidit !
Ah vous en faites bien du bruit pour des bestioles aussi benettes…
Et furieux, il rentra chez lui tandis que dans son dos le chant des grenouilles, s’éloignait dans  la nuit  : « Croûhuit, croûhuit, croûhuit….
Un an passa… il avait acheté une autre vache. Pensant se dédommager des sept écus que les grenouilles ne lui avaient pas rendus, il abattit la vache ; la viande lui rapporterait plus que l’animal sur pied.
Il emballa soigneusement les quartiers dans des torchons qu’il mit dans des paniers et les paniers sur une charrette et le voilà sur le chemin. Juste avant d’arriver à Brezolles, une meute de chiens dirigée par un molosse au nez fripé et aux joues pendantes, se mit à aboyer  et courir autour de la charrette : « Mwaôuh, Mwaôuh, Mwaôuh !!!
-Oui, oui, je te comprends : pour moi, pour moi ?? Eh bien tu peux courir mon vieux ! Elle est pas pour Twaôuh, twaôuh , ma viande !
Mais le gros chien insistait,  reniflant les paniers tant et si bien que le bonhomme tomba le nez dans la poussière. La charrette versa et les paniers suivirent ; le gros chien et sa bande crochèrent dans les torchons et disparurent derrière les haies d’aubépine..
-Pas grave, dit le bonhomme s’adressant au molosse. Tu voulais ma viande ? Eh bien tu l’as ! De toute façon, je connais ton maître ; va lui demander des sous et reviens me payer dans trois jour à la maison.
Les trois jours écoulés, notre innocent se leva tout joyeux, comptant bien toucher ses sous dans la journée…. Il attendit, jusqu’au soir et encore le lendemain, puis le jour suivant, d’un pas martial il se rendit chez le maître du molosse et lui réclama son argent.
-Ton argent ? Quel argent ?
-Mais celui que me doit ton chien !
L’autre se mit à rire :
-Mon chien ?... mon chien te doit de l’argent ? Et que t’as-t-il donc acheté mon chien ?
- Mais, toute la viande de la vache que j’ai tuée et que j’allais vendre au marché !
- Ah ! c’est donc ça qu’il a tant dormi et qu’il n’avait pas faim ! Ben, mon pauv’ vieux, que veux-tu ! Je ne suis pas responsable des dettes de mon chien !
Le pauvre innocent s’en retourna tout penaud.
Sa femme qui commençait à trouver pénible la perte de deux vaches en un an, l’envoya demander justice au comte Albert, alors seigneur de Brezolles.
Il fut reçu en audience et put raconter son histoire : comment les grenouilles ne lui avaient pas rendu ses écus ; comment le chien avait pris sa viande et comment son maître  n’avait pas voulu rembourser sa dette.
La fille du comte Albert, qui brodait mélancoliquement dans un angle de fenêtre, se mit soudain à rire, mais à rire ! à s’en étouffer ! Le comte, la comtesse, les valets, les nourrices, les gardes, les chasseurs tous ceux qui se trouvaient dans la salle s’émerveillent et s’empressent autour de la jeune fille. Pensez ! Elle n’avait jamais ri de sa vie et le comte l’avait promise à celui qui obtiendrait d’elle au moins un sourire.
- Je ne peux obliger les grenouilles, dit le comte, à te rendre tes écus, pas plus que je ne peux forcer le maître du chien à te payer le prix de ta viande, mais je t’offre ma fille pour épouse et à ma mort, c’est toi qui sera seigneur de Brezolles.
- Ah, mais non ! dit le paysan, je ne veux pas de votre fille ; j’ai déjà une femme et c’est bien assez. Et je ne veux pas non plus de votre place, j’ai assez de mal à la mienne ! Non, ce que je veux, c’est le prix de ma viande et mes sept écus.
-Puisque c’est comme ça, dit le comte Albert furieux, alors reviens dans trois jours… des écus !!! Tu en veux sept ? Je t’en ferai donner cinquante.
Le garde qui était à la porte, voyant sortir le paysan, lui dit :
-Alors ! alors ! il paraît que tu as fait rire la fille du comte ? qu’est-ce qu’il t’a donné pour cela ?
-Rien encore ; on ne m’a pas rendu mes sept écus, mais dans trois jours on va m’en donner cinquante..
-Oh ! c’est beaucoup, dit le garde. Que vas-tu faire de tout cet argent ? Tu devrais m’en donner un peu.
- Si tu veux, dit l’innocent. Va de ma part dans deux jours, demander qu’on t’en donne vingt sur mes cinquante.
Un vieil avare, usurier à ses heures qui attendait une audience, n’avait rien perdu de la conversation ; il s’approcha :
-Vous en avez de la chance, vous deux ! Mais des écus, dans ce village, vous aurez du mal à les changer : confiez-les moi , et je vous ferai la monnaie.
-D’accord, dit l’innocent ; donne-moi tout  suite pour trente de monnaie et dans trois jours, va te faire payer chez le comte Albert.
Tout content du beau marché qu’il venait de passer, le vieil avare donne au paysan quelques vieilles pièces sans valeur.
Trois jours plus tard, comme convenu, le paysan revient au château et demande audience.
-Ôtez-lui ses vêtements, dit le comte et donnez-lui  les cinquante que je lui ai promis.
-Ah, mais ils ne sont plus pour moi à présent ; j’en ai donné vingt au garde à votre porte et l’usurier m’en a changé trente ; c’est donc à lui…
A ce moment, un tumulte se fit à la porte et l’on vit entrer le garde qui, à grand bruit, réclamait ses vingt et derrière lui, l’usurier qui voulait ses trente.
Chacun reçut sa part des cinquante coups de bâton que son insolence avait valu à l’innocent.
Le comte Albert, que cette histoire avant réjoui se mit à rire et dit au paysan : « La plus perdue des journées est celle où l’on n’a pas ri et toi, tu m’as bien fait rire. Va dans mes coffres et prends tout l’argent que tu veux. »
Le bonhomme ne se le fit pas dire deux fois ; il remplit ses poches et sa besace. Toute cette monnaie était lourde à porter ; il s’arrêta sur la place, entra dans l’auberge et se mit à compter sa fortune. L’usurier l’avait suivi sans se faire remarquer et voilà qu’il entend notre innocent marmonner :
« Ah,la la ! J’ai pris ces pièces au hasard et maintenant je ne sais pas si j’ai la bonne somme ! Ah, il m’a bien roulé, le comte Albert, s’il avait été honnête, il m‘aurait donné l’argent lui-même au lieu de me laisser me servir..
Et le grigou de se dire :
-Il se plaint du comte ? Je vais le dénoncer ; il sera puni et moi, j’aurai une récompense !
Sans attendre plus, il met son projet à exécution, ce qui fâche grandement le comte Albert :
-Va me chercher ce maudit paysan qui n’est jamais content. Il va voir de quel bois je me chauffe !
L’usurier se frottait les mains en se rendant chez l’innocent :
- Vite, vite, il faut vous rendre au château, le comte Albert a deux mots à vous dire…
-Oh, mais, fait l’innocent, c’est que je suis un homme riche maintenant ! Pas question d’aller au château avec mes vieux habits… Je vais m’en faire faire des neufs…
Mais le vieil avare, pressé de toucher sa récompense ne voulait pas attendre :
-Je vais vous en prêter un d’habit ! Un bel habit même… presque neuf !
L’innocent accepta et voilà nos compères devant le comte qui reproche au paysan ses propos désobligeants.
-Comment, proteste-t-il, vous croyez ce vieux grigou ? Voyons, un homme qui vit en prêtant de l’argent ne peut dire une parole véritable ! Il serait même capable de prétendre que l’habit que  je porte est à lui !
-Mais, mais, mais… se mit à piailler l’usurier, évidemment qu’il est à moi ! Il me l’a emprunté pour être convenablement vêtu devant vous !
Le comte Albert se dit :
-Une chose est certaine : ce vieux grigou cherche à rouler quelqu’un. Ou c’est moi, ou c’est l’innocent ! Gardes ! chassez -moi ce menteur !
-Et toi, dit-il au paysan, retourne dans mes coffres et remplis encore une fois tes deux poches.
Et c’est ainsi que l’innocent rentra chez lui les mains pleines et vêtu d’un bel habit presque neuf.

mardi 14 mai 2013

Le Chévrefeuille - Marie de France- Traduction Ph. Walter


Il me plaît beaucoup et c’est mon désir de vous conter la véritable histoire de ce lai qu’on nomme Chèvrefeuille, pourquoi il fut composé et d’où il vient.
Plus d’un me l’a raconté et moi, je l’ai composé par écrit au sujet de Tristan et de la reine, de leur amour si parfait qui leur valut tant de souffrances avant de les réunir dans la mort, le même jour.
Le roi Marc était courroucé et emporté envers son neveu Tristan.
Il l’avait chassé de son royaume à cause de l’amour qu’il vouait à la reine.
Tristan s’en était retourné dans son pays.
Il resta une année entière sans jamais pouvoir revenir dans le sud du pays de Galles où il naquit.
Ensuite, il s’exposa à la mort et à l’anéantissement.
Ne vous en étonnez pas car celui qui aime très loyalement est rempli de tristesse et de souci quand il ne peut satisfaire ses désirs.
Tristan était affligé et anxieux.
C’est pourquoi il quitta son pays et retourna en Cornouailles où vivait la reine.
Il se cacha seul dans la forêt.
Il ne voulait être vu par personne.
Il en sortait le soir quand il fallait trouver un gîte.
Il était hébergé pour la nuit par des paysans, des pauvres gens.
Auprès d’eux, il s’informait sur les faits et gestes du roi.
Ils lui rapportent ce qu’ils ont entendu : les barons sont convoqués, ils doivent se rendre à Tintagel, car le roi veut y tenir sa cour.
A la Pentecôte, ils y seront tous ; il y aura beaucoup de joie et de plaisir ; le reine y sera.
A ces mots, Tristan se réjouit.
Yseut ne pourra se rendre là-bas sans qu’il la voie passer.
Le jour du départ du roi, Tristan retourne dans la forêt.
Sur le chemin que le cortège devait emprunter, il coupa une branche de coudrier par le milieu et l’équarrit en la taillant.
Quand le bâton est prêt, il y grave son nom avec un couteau.
Si la reine le remarque – car elle faisait très attention ; il lui était déjà arrivé précédemment de retrouver Tristan par un moyen similaire -, elle reconnaîtra parfaitement dès qu’elle le verra, le bâton de son ami.
Voici l’explication détaillée du message qu’il lui adresse : il était resté longtemps dans la forêt, aux aguets, attendant de connaître un moyen pour la revoir car il ne pouvait vivre sans elle.

« De ces deux il en fut ainsi
Comme du chèvrefeuille était
Qui au coudrier s’attachait :
Quand il s’est enlacé et pris
Et tout autour du fût s’est mis,
Ensemble peuvent bien durer.
Qui plus tard les veut détacher,
Le coudrier tue vivement
Et chèvrefeuille mêmement.
« Belle amie, ainsi est de nous :
Ni vous sans moi, ni moi sans vous ! »
trad. Jean Orizet

La reine s’avançait à cheval.
Elle scrutait le talus, vit le bâton, le reconnut et distingua les inscriptions.
A tous les chevaliers qui la conduisaient et l’accompagnaient, elle ordonna de s’arrêter.
Elle veut descendre de cheval et se reposer.
Ils lui obéissent ; elle s’éloigne de ses gens, appelle sa servante Brangien qui lui reste très fidèle.
Elle s’éloigna un peu du chemin et, dans la forêt, elle trouva celui qu’elle aimait plus que tout au monde.
Ils laissent tous deux éclater leur joie.
Il lui parle tout à loisir et elle lui dit ce qu’elle désire.
Ensuite, elle lui explique comment il pourra se réconcilier avec le roi qui regrette de l’avoir exilé : il a été abusé par des calomnies.
Puis elle part et quitte son ami.
Mais quand arrive le moment de la séparation, ils commencent à pleurer.
Tristan retourna au pays de Galles jusqu’à ce que son oncle le fît revenir.
Pour la joie qu’il éprouva de revoir son amie et pour se rappeler les paroles de la reine qu’il avait mises par écrit, Tristan qui savait bien jouer de la harpe avait composé un nouveau lai.
Je le nommerai brièvement : en anglais, on l’appelle Gotelef, les Français le nomment Chèvrefeuille.
Je viens de vous dire la véritable histoire du lai que j’ai raconté ici.
                                                                                                               
Au Jardin, visitez le Jardin des Plantes
Gentil Bernard vous attend sur l'Almanach. 

Les Chouchous