Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mardi 27 novembre 2012

MODISTE






Il y avait à Paris,  rue St Florentin, un fournisseur d’articles pour modistes.
Pas de fleurs, de plumes de passementeries ou de voilettes, juste les éléments techniques qui servaient à construire l’ossature des chapeaux : de la sparterie, du laiton, de la singalette, des colles des apprêts aux fortes odeurs étourdissantes ; et des outils : des coqs, des fers électrique ou en fonte, des pinceaux, des ciseaux, des pinces ; des moules en bois et dans des placards vitrés ,s’alignaient les poupées, fantômes de têtes tendues de toile bise, deux amandes noires, sans pupilles indiquaient la place des yeux.
C’était un entresol assez mal éclairé, aux longs comptoirs de bois polis, aux tiroirs mystérieux. L’endroit, pour une petite fille, était inquiétant , bien qu’ humanisé par un personnel chaleureux, familier.
Le plus effrayant était une affiche punaisée sur la porte de sortie ; on ne pouvait pas la rater.
Imprimée dans un dégradé de tons sinistres : gris, prune, pourpre, violet. Le haut en était déchiré par un éclair d’un jaune hépatique ; dans le bas, en diagonale, une pauvre fille échevelée tentait de retenir un encombrant carton à chapeaux, son sac et ses jupes affolés par un grand vent d’orage. Ses yeux agrandis d’effroi, sa bouche ouverte semblaient demander pardon.
Et traversant ce cataclysme, il y avait écrit en grosses lettres hérissées et aussi hépatiques que l’éclair :

HONTE A LA MODISTE SANS CHAPEAU !

Car on entrait dans le temps où les coiffeurs hérissaient les têtes d’énormes « choucroutes » crêpées sur lesquelles il était impossible de jucher le moindre couvre-chef , et les modistes elles-mêmes creusaient leur tombe en suivant la mode. Les femmes allaient « en cheveux » et il faut avoir entendu le mépris intégral pour ce « genre » de femmes dans la voix de mon arrière grand-mère et de sa sœur pour imaginer la révolution d’allure et de mœurs que signifiait cette nouvelle façon d’être. Les grandes maisons de mode telles que Gilbert Orcel, Rose Valois, Jeanne Blanchot, dont la renommée valait celle d’un actuel créateur allaient disparaître. Pendant quelques années encore subsisteraient Jean Barthet et Claude St Cyr et les ateliers des grands couturiers, puis…. Eclipse…
Une ou deux décennies plus tard, des Jean-Charles Brosseau, Marie Mercier allaient de nouveau tenter de chapeauter les femmes, mais avec de l’utilitaire pour l’un et de…du…j’aime mieux ne rien dire pour ne pas dire cotillon.
Les modistes actuelles qui sont plutôt des vendeuses de chapeaux, garnissent des formes bloquées venant d’ateliers de chapellerie industrielle, ce que faisaient autrefois les femmes de chambre des aristocrates.
Il y a deux sortes de couvre-chef en fait : le chapelier, le chapeau d’homme en feutre, que parfois les femmes se sont appropriées en le garnissant de fleurs et de rubans et puis les coiffures, plus gracieuses, mêlant ces mêmes fleurs et rubans aux cheveux.
La première vraie modiste fut Rose Bertin, la marchande de mode de Marie-Antoinette et le chapeau féminin connut ses belles heures depuis la fin de la Révolution jusqu’aux Trente Glorieuse. Certes on porte encore des bonnets, des bérets, des casquettes. Mais les modistes ne reviendront plus dans des ateliers tels que ceux dans lesquels j’ai grandi  …Oh !voici que revient un souvenir… des images :
C’était peut- être avant mes dix ans et c’était la Fête des Mères. Avec les quelques pièces que j’avais en poche, je cherchais tout autour du pâté de maisons un cadeau à offrir. Tout était hors de prix et j’ai fini par trouver. Dans une confiserie, sur le comptoir, trônait un présentoir hérissé de sucettes. Pas les banales Pierrot Gourmand, non, de belles sucettes rondes aux motifs colorés tels une broderie de sucre, des sucettes admirables, de celles si on vous les offre dont on n’ose pas se régaler. Avec raison ; la saveur n’en égale pas la vue, mais je l’ignorais à l’époque. Cette friandise était coûteuse ; avais-je la somme ou bien la sympathie de la commerçante ? Toujours est-il qu’elle me fit un joli emballage avec cellophane et nœud de ruban.
Je ramenais en triomphe mon beau cadeau à la maison, qui était aussi le salon de mode de ma mère. Je traversai l’enfilade de pièces pour gagner l’atelier qui était tout au bout de l’appartement, mon trophée brandi tel un étendard.
Je revois l’atelier , à droite la grande table autour de laquelle oeuvraient une demi douzaine d’ouvrières en blouses et en chaussons, les pieds posés sur un petit banc ; l’odeur de colle, d’apprêt et de térébenthine ; la vapeur des chiffons mouillés posés sur les fers toujours brûlants ; le grésillement des coqs (sortes d’œufs en fonte montés sur une tige elle-même terminée par un manche en bois et enfoncés dans des « pieds » vissés sur la table) des coqs donc, trempés dans une cuvette d’eau froide avant qu’ils ne virent au rouge et risquent de brûler les feutres qu’ils servaient à façonner.
Cet atelier, comme tous ceux de la profession était sonore ; la radio distillait à longueur de jour chansons, jeux radiophoniques et feuilletons : Signé Furax, Noëlle aux Quatre Vents, Quarante-deux Rue Courte, Une étoile se lève… . Quand la radio avait cessé de plaire, on chantait, on potinait, on savait tout sur tout le monde dans le métier et sur les clientes ; on donnait son avis sur la mode bien évidemment , mais aussi sur le cinéma, le théâtre et les Vedettes (on ne disait pas stars ni people) et on goûtait aussi . On aimait les bonnes choses ;; Fauchon et Hédiard n’étaient pas encore les temples luxueux de nos jours. Ils étaient juste deux excellentes épiceries au bout de la rue.
Et voyez : à droite la grande table et ces dames,  à gauche, face à la fenêtre, surveillant le porche Haussmannien de l’entrée de l’immeuble, la table de ma mère et icelle travaillant les pieds surélevés et une planchette emmaillotée de linges en travers de genoux.
Je n’oublierai jamais sa stupeur et l’énorme éclat de rire général déclenchés par mon présent « saugrenu ».

3 commentaires:

manouche a dit…

Je me souviens de l'odeur piquante de l’apprêt quand la modiste travaillait un feutre sur une tête de bois!

croukougnouche a dit…

j'aime les chapeaux!!!
et depuis que j'ai les cheveux courts , j'en profite!!

laurent a dit…

En voilà des souvenirs,

Les Chouchous