Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mercredi 27 juin 2012

Que faisait Dieu, Tonton Mitch? Il faisait çà... alm


Les Animaux du Huitième Jour


Q
uand Dieu eut fini de créer le monde, le septième jour il se reposa ; tout le monde le sait. Mais que fit-il le huitième ? Tout le monde ne le sait pas…
Ce jour-là, Dieu se leva tranquillement, sans faire sonner son réveil, se prépara un bon petit déjeuner qu’il prit sans hâte en écoutant les nouvelles portées par ses anges informateurs. Puis il se fit couler un bain parfumé d’huiles odorantes dans lequel il se prélassa. Des chérubins musicaux lui donnaient une aubade et je crois bien qu’il fit un petit somme ; la température de l’eau qui tiédissait le réveilla. Il se sécha, se talqua, se parfuma et après s’être arrangé soigneusement la barbe et les cheveux, revêtit une tunique de lin blanc qui le changea agréablement des cottes de travail qu’il portait depuis une semaine.
Détendu, en pleine forme, il alla s’installer sur son nuage favori et reçut quelques séraphins et archanges avec qui il expédia les affaires courantes. Tout ceci le mena jusqu’à midi. Il apprécia un déjeuner soigné, servi sur une table garnie de fleurs qui lui fit oublier les nombreux plateaux repas servis dans l’atelier, sur un coin d’établi et dont il avalait le contenu sans même savoir ce qu’il mangeait tant la Création était alors son unique souci. Le déjeuner fini, Dieu retourna sur son nuage où il s’accorda une petite sieste… ;
Il s’éveilla plein d ‘énergie et d’idées, mais…. Il n’avait plus rien à faire !
Dieu s’en alla promener dans son Paradis où tout était si parfait ; il examinait tout, cherchait des retouches à faire, des êtres ou des choses à améliorer. Mais rien, rien décidément ne clochait dans la création, et Dieu continuait à arpenter les allées du Jardin d’Eden, cherchant en vain une mauvaise herbe à arracher. Il arriva ainsi aux confins du paradis où se trouvait son atelier, cet atelier dans lequel il avait fabriqué toutes ces merveilles. Il se souvint alors qu’au soir du sixième jour, il était si fatigué qu’il avait fermé la porte sans rien ranger ;
« En voilà une bonne idée !se dit-il, je vais mettre de l’ordre là-dedans et qui sait, quand j’en aurai fini, je trouverai peut-être à créer quelque chose qui manque encore à l’Univers. »
Et Dieu poussa la porte ; quel fourbi ! il y en avait des choses à jeter : les chutes des matériaux dont il s’était servi ; de la fourrure, des plumes, des pattes, des palmes, des nageoires, de la corne, des os, des dents, du clair, du foncé, du lourd, du léger, de l’uni, du moucheté, du rayé… Mais tout était disparate : il n’y avait pas là de quoi faire une plante, encore moins un animal qui soit un peu cohérent.
Dieu ne se décourage pas facilement ; toutes ces chutes, tous ces morceaux étaient en bon état, de première qualité, il eut été dommage de les jeter.
« Mais, je me connais, se dit Dieu, si je les range dans des caisses, je les oublierai et tous ces beaux matériaux resteront inutilisés ! Allons, voyons… Je suis un créateur… Le suis LE créateur ! »
Il restait, punaisé au mur, les fiches techniques de quelques animaux qu’il n’avait pas cru utile de fabriquer ; alors Dieu se mit à son établi et commença de piocher dans les chutes et de les assembler : ça donnait vraiment des trucs étonnants !…
« Voyons… cette fourrure mouchetée, je l’avais prévue pour un félin…mais les taches sont trop grosses… Ah !pas mal sur ce corps de vache, mais il faudrait des pattes. Zut !deux courtes et deux longues, ça ne va pas… quoique… en inclinant le dos, on va y arriver. Bon, maintenant la tête… J’ai là un cou beaucoup trop long et deux très beaux yeux, avec deux grandes oreilles et des petits andouillers de chevreuil… Ce n’est pas très beau, mais c’est rigolo ; je vais ajouter cette drôle de queue avec un plumet au bout et des sabots qui me restent des chevaux, j’en ai plein… Drôle de bête ! Je vais lui ajouter une pincée de légèreté, qu’au moins elle soit gracieuse. Voilà… sa tête tourne de droite à gauche et je vais la nommer … je vais la nommer… voyons, voyons… »
Il décrocha une fiche, regarda le nom marqué, souffla dans les oreilles de biche de la drôle de bête et dans les allées du Paradis, il lança la première Girafe.
Tout content, il se frotta les mains et retourna farfouiller dans ses chutes.
Cette peau rayée de noir et de blanc, par exemple, qui avait juste la taille de ce corps d’âne ; oui, mais il manquait une tête. Tiens, justement une tête de poney n’avait pas été utilisée ; avec cette crinière noire un peu balais brosse, ça donnait un animal sympathique. Dieu prit la fiche « Zèbre », souffla dans les naseaux de la nouvelle créature qui partit au galop.
Avec une fourrure de zibeline, des palmes et un bec de canard, il fit l’ornithorynque. Le fou rire le prit : c’était encore plus drôle de fabriquer ces monstres que tout le reste de la Création.
Un tas de têtes, de membres et de corps énormes encombrait tout un coin de l’atelier : de la peau grise et rugueuse refusait de se laisser plier ou rouler. Jamais on ne pourrait mettre d’ordre dans cette pièce si on n’en faisait pas quelque chose, mais tout était bien laid. Au hasard, presque les yeux fermés, Dieu assemble les grosses têtes, les grosses pattes, la peau en plis invraisemblables. Un des animaux était si laid que Dieu le mit dans l’eau avec ordre d’en sortir le moins possible : il le nomma hippopotame.
L’autre était presque aussi laid avec en plus de petits yeux qui lui donnaient l’air méchant. « Il ne peut pas être pire ! » marmonna Dieu en lui rajoutant sur le nez une double corne pointue. Il l’arrosa d’un peu de lourd qui restait dans un bidon et vous avez deviné qu’il venait de créer le rhinocéros.
Toute la journée, Dieu bricola ; il s’amusait bien et donna le jour au crocodile, au kiwi, au kangourou, au toucan et à bien d’autres encore…
Vers la fin, il avait encore de quoi faire des chiens ; ce qui clochait, c’était de nouveau les pattes : des pattes avant longues, des pattes arrière courtes. Il prit la fiche « Hyène » et modifia quelques éléments. La Hyène, animée, se regarda dans la glace et se mit à rire…
Il ne restait plus gran -chose… Dieu avec des poils et une tête, fit un animal qui tenait à la fois du renard et du lapin. De nouveau les pattes posaient problème : il avait deux pattes gauches longues et deux pattes droites courtes. La fiche qui restait portait le nom « Dahu »…
Non, pensa Dieu… cette bête là, personne n’y croirait !

mardi 26 juin 2012

Opéra Fantôme (44)


Celle de ce trio que formaient d’autres  comédiens: un frère, une sœur et leur mère qui paraissait être le chef de la troupe en tout cas leur mentor financier ; sans arrêt elle comptait et recomptait ses sous et en avait probablement plus qu’elle ne le laissait paraître. Elle évaluait de l’œil et parfois de la voix, elle ne pouvait s’en empêcher, tout ce qui passait à sa portée. Elle tyrannisait sa progéniture, pesant de tout son poids qui n’était pas léger, sur leurs faits et gestes et même sur leurs pensées. Le garçon s’évadait dans l’écriture et la fille, cousant, repassant, coiffant ne faisait jamais assez ni assez bien. Turlupinée sans cesse par la vieille elle tentait à longueur de journées de se surpasser  tout en se lamentant sur une nullité qu’elle tournait en dérision avec un sens de l’humour certain.  La mère était veuve du chef de cette troupe, enterré à l’écart d’un cimetière de province, mort d’ivrognerie et de froid un soir deSaint Sylvestre. Après l’avoir malmené de son vivant, elle en faisait un génie défunt tout en se gardant bien de retourner fleurir sa tombe.
Le jeune Valentin vouait une admiration éperdue à Rinaldo ; l’italien représentait tout ce qu’il aurait voulu être et qu’il aurait approché s’il s’était un peu soigné, s’il s’était redressé au lieu de marcher la tête dans les épaules, s’il avait de temps à autre lavé ou seulement peigné une tignasse dont on pouvait imaginer que des bestioles en faisaient leur domaine. Il ne cessait de gratter du papier que pour suivre son idole partout où il allait. Rinaldo s’en était tout d’abord irrité ; ses amours en étaient encore au stade où le secret renforce la passion et ce secret, il n’avait aucune envie de le partager fût-ce avec ce gentil garçon dont il était évident qu’il pouvait tout lui demander. Heureusement, Valentin craignait les chevaux ; il était facile à semer…
Mais Valentin comme tous les poètes était distrait ; toujours encombré de plumes, de cahiers et de feuillets épars, il en laissait s’envoler au fil de ses déambulations. Un cahier se glissa sous le pied de Rinaldo qui, pressé, d’aller rejoindre ses amours le glissa dans un poche où il l’oublia. Mais les histoires ont un destin qu’elles se doivent d’accomplir et celle-ci ne manqua pas de gonfler disgracieusement l’habit du beau musicien. Avant de la rendre à son auteur, Rinaldo y jeta un coup d’œil ; que pouvait bien griffonner à longueur de jours le jeune ébouriffé ?
C’était une histoire d’amour échevelée, chevaleresque et moyen-âgeuse ; un conte peuplé de dragons, de princesses captives,  de héros sans faille et sans peur, de magiciennes redoutables, de rois, d’enchanteurs…bref, une de ces histoires à rebondissements que n’aurait pas reniée Madeleine de Scudéry et qui, au fait, ferait un parfait livret pour cet opéra dont il ne connaissait encore que la musique.
Le soir, après dîner,  Valentin s’était recroquevillé sur le tabouret, proche de la cheminée et que personne ne lui contestait ; il compulsait fiévreusement des feuillets trop manipulés tout en grattant sa tignasse. Il semblait au désespoir. Alors comme dans les contes, quand le héros au bord de sa perte voit s’approcher le sauveur, il vit l’indifférent Rinaldo venir à lui, un cahier dans la main.
« C’est peut-être ce que vous cherchez ? Pardonnez-moi, mais je me suis permis d’en lire quelques pages et… c’est bien, vous savez. »
Valentin, se  mit à bafouiller passant par toutes les couleurs que peut prendre une peau d’adolescent mal nourri. Rinaldo qui avait eu son âge avant lui et ce temps n’était pas assez éloigné pour qu’il l’ait oublié posa la main sur son épaule et continua :
« Ce serait un belle histoire pour notre opéra, si vous acceptiez. »





lundi 25 juin 2012

alm


Pluie de Saint – Réverien,
Belles avoines et maigre foin.


Juin, comme son nom l’indique est consacré à Junon, que les Grecs appelaient Héra.
Héra est la première parmi les déesses de l’Olympe, et comme telle, l’épouse de Zeus, le Roi des Dieux.  On dit aussi qu’elle est sa sœur.
Est-ce la raison pour laquelle elle refusa tout d’abord ce divin prétendant, ou bien parce qu’avant elle il avait eu déjà deux épouses , ce qui est un motif suffisant pour faire réfléchir une jeune fille raisonnable.
Toujours est-il que Zeus, Roi des Dieux, fut refusé par Héra. Refus qui ne le troubla guère. Quand Zeus convoite une femme, mortelle ou déesse, il sait se donner les moyens de l’obtenir. Il usa, cette fois encore, d’un moyen qui lui avait toujours réussi: la métamorphose.
Il choisit l’apparence d’un modeste coucou ; un pauvre petit coucou grelottant et mouillé, les plumes hérissées de froid.
La toute jeune déesse n’était  pas encore cette Héra dont l’image altière traversera les siècles.
Emue,  elle prend l’oiseau transi et le réchauffe entre ses seins. Zeus alors, fou de désir, redevient lui-même et enlace Héra qui, effrayée, indignée, tente de le repousser. Mais partant du principe qu’une femme souvent dit non en pensant oui, le Dieu passe outre, déchire sa tunique et la force à subir un sort que certaines hypocrites décriront plus tard comme « pire que la mort ». Mais comme Héra est immortelle, elle accepte ce sort et, convaincue par ces arguments sans réplique,  accepte enfin de l’épouser.

Une noce splendide,  au Mont Atlas, dans le jardin des Hespérides où la déesse fera planter l’arbre aux pommes d’or offert par Rhéa en présent nuptial ; arbre qui sera à l’origine de bien troublantes histoires.
En attendant, les nouveaux époux partent à Samos pour une lune de miel qui durera 300 ans ; nous sommes chez les Dieux , n’est-ce pas ?
La jeune mariée se révélera jalouse, et même violente, mais qui ne le deviendrait avec un époux tel que Zeus, qui passe son temps à trousser déesses et mortelles, sans parler des nymphes et autres créatures tentantes.
Pour le retenir, elle emprunte la ceinture d’Aphrodite. Mais le charme est de courte durée.
Alors Héra devient vindicative et poursuit de ses maléfices les amantes de Zeus et leur bâtarde progéniture. Lui, use de subterfuges pour les protéger mais n’hésite pas à user de sa foudre quand il le juge nécessaire.  Les scènes de ménage font vibrer tout l’Olympe. Il est vrai que l’enfance du couple fraternel fut chaotique : avalés puis régurgités par leur père,  enlevés et cachés par leur mère, confiés à d’improbables et étranges nourrices. De tels débuts dans la vie ne prédisposent pas à la douceur. 
Héra pourtant n’est pas insoupçonnable, et Zeus fait semblant de la croire quand elle raconte avoir conçu Arès avec une fleur d’Aubépine.
Il leur arrive aussi, dans les temps d’accalmie,  de discuter paisiblement. Zeus écoute les conseils de son épouse,  lui confie parfois des secrets, mais il reste méfiant : il n’oubliera jamais qu’elle s’est alliée aux autres Olympiens pour  conspirer contre lui.
On les voit philosopher sur des questions essentielles, et c’est ainsi que se glissa entre eux ce passionnant sujet de débat : le plaisir amoureux. Qui de l’homme ou de la femme jouit le plus intensément pendant l’amour ? Qu’ils soient d’accord vous aurait surpris ? Ne le soyez pas, ils ne le sont pas !
C’est la femme, soutient Zeus.
Bien, évidemment non, c’est l’homme, le contrarie Héra.
Et chacun d’avancer ses arguments sans parvenir à convaincre l’autre
 Impossible de se mettre d’accord ; il faut un arbitre. Un seul être dans leur monde était capable de trancher le débat : Tirésias .
Tirésias était connu pour avoir dans sa jeunesse perturbé les amours de deux serpents, des serpents quelque peu sorciers qui,  pour punir le gêneur l’avaient  changé en femme. Il resta femme pendant sept ans jusqu’au jour où rencontrant à nouveau deux serpents amoureux, il ne pût s’empêcher de troubler à nouveau leurs ébats. Furieux les serpents- c’étaient les mêmes mais il n’avaient pas plus reconnu Tirésias que Tirésias ne les avait reconnus- jetèrent leur sort qui rétablit l’indiscret  dans sa forme première.
Il était donc le seul être au monde qui pour avoir eu les deux natures était à même de les départager.
Tirésias répondit que si le plaisir se pouvait diviser en dix parties, la femme en possédait neuf et l’homme une. Héra le savait fort bien mais c’était là son secret et Zeus devait l’ignorer .Furieuse de le voir révélé, elle prive Tirésias de la vue et Zeus pour adoucir la peine lui donne le don de prophétie.

jeudi 21 juin 2012


Madame d’Aulnoy

C’est entre 1692 et 1695 , quelques années avant les Contes de ma Mère l’Oye, que fut publié en France le premier « conte de fées ». L’Ile de la Félicité, était inséré dans Hypolite, comte de Douglas, un roman de Madame d’Aulnoy.
Tout autant que romancière ou conteuse, Marie-Catherine le Jumel de Barneville, baronne d’Aulnoy, fut une aventurière ; sa vie fut un véritable roman de cape et d’épée.
Elle a vu le jour en Normandie, à Barneville, le village dont elle porte le nom, vers 1650. Elle  a seize ans quand on la marie à un valet de pied du duc de Vendôme, François de la Motte, qui a trente ans de plus qu’elle. Il lui fait cinq enfants, ce qui lui donne tout le temps de le détester et de prendre un amant. L’époux incommode est soupçonné de malversations et contraint de s’expatrier. Marie-Catherine en profite pour le faire accuser du crime encore plus grave de lèse-majesté par son amant et un autre complice. De la Motte est traîné en justice, mais finalement relaxé et ce sont les trois calomniateurs qui sont condamnés à avoir la tête tranchée. Pendant qu’on arrête les deux hommes, Marie-Catherine parvient à s’échapper par un escalier dérobé. Elle se réfugie dans une église voisine et passe la nuit sous un catafalque qui reposait là. Elle demeure introuvable le temps que cessent les recherches et se réfugie en Angleterre. De là, elle passe en Espagne où, désireuse de rentrer en grâce, elle accepte de rendre au Royaume de France quelques discrets services.
Enfin, elle peut revenir à Paris, mais incorrigible, elle a de nouveau des fréquentations douteuses et prend pour amie une femme qui sera décapitée pour avoir tué son époux, ce qui n’arrange pas sa réputation.
Elle a pourtant d’autres amies, des conteuses, telles Madame de Murat ou Mademoiselle L’Héritier. Car tout au long de ses aventures, Marie-Catherine n’a jamais cessé d’écrire, des relations de voyage, des mémoires et ce roman dans lequel elle insère un conte. Car en ce temps la mode du conte fait fureur ; dans les salons littéraires, les « ruelles » comme on les nommait alors, il est de bon ton de faire venir au grand jour, les histoires racontées dans les campagnes que les nourrices racontaient aux petits enfants.
C’est en 1697 et 1698, que Madame d’Aulnoy publie les contes qui l’ont rendue célèbre, dont le fameux Oiseau Bleu. Enfin assagie, elle vit dans sa maison de la rue Saint-Benoît où elle meurt le 14 janvier 1705.
Ses histoires sont pleins d’heureuses trouvailles de langage et souvent plus sensuelles que celles de Perrault. La cruauté y est parfois difficile à soutenir, ainsi dans ce passage de La Chatte Blanche :
« Les larmes vinrent deux ou trois fois aux yeux du jeune prince, de la seule pensée qu’il fallait couper la tête à sa petite Chatonne qui était si jolie et si gracieuse. Il dit encore tout ce qu’il put imaginer de plus tendre pour qu’elle l’en dispensât, elle répondait opiniâtrement qu’elle voulait mourir de sa main ; et que c’était l’unique moyen d’empêcher que ses frères n’eussent la couronne ; en un mot, elle le pressa avec tant d’ardeur, qu’il tira son épée en tremblant, et d’une main mal assurée, il coupa la tête et la queue de sa bonne amie la Chatte….

vendredi 15 juin 2012





LES FRERES GRIMM-


Perrault a eu le grand mérite de tirer de l’oubli où ils sombraient, huit contes emblématiques.
Ils sont tels les troncs d’arbres dont les racines plongent dans les mythologies du monde . Un peu plus de cent ans après,  les 238 branches collectées dans tout l’Allemagne par les frères Grimm en formeront la frondaison.
Si la démarche de Perrault était littéraire et probablement philosophique, Jacob et Wilhelm Grimm, linguistes et aussi juristes ont fait œuvre ethnologique .  Les « Contes pour les Enfants et la Maison » n’en sont pas moins une formidable machine à rêves. Ils sont souvent sombres et tragiques, le merveilleux y est moins léger que chez Perrault qui décrivait la vie mondaine jusque dans Barbe-Bleue. On y voit plus de sorcières que de fées et les héros y rencontrent des tâches plus rudes que semer des petits cailloux ; les dragons ont souvent sept têtes à couper qui parfois repoussent et il n’est pas rare d’y avoir à tuer cruellement son animal favori pour être délivré d’un mauvais sort.
La punition du « méchant » est souvent d’une grande barbarie, telle la fin de la marâtre de Blanche-Neige :
« Cette femme perfide poussa alors un juron et elle se lit à avoir terriblement peur, si peur qu’elle ne parvenait pas à se ressaisir. Elle ne voulut tout d’abord plus du tout se rendre au mariage ; cependant elle n’avait pas de paix : elle devait y aller pour voir la jeune reine. Et, quand elle entra, elle reconnut Blanche-Neige, et sa terreur et son angoisse étaient telles qu’elle était incapable de faire le moindre mouvement. Mais on avait déjà mis à chauffer, au-dessus d’un feu de charbon, des souliers de fer que l’on apporta avec des pinces et que l’on plaça devant elle. Elle fut alors bien obligée de mettre ces souliers chauffés à blanc et de danser ainsi, jusqu’à ce qu’elle s’effondre, morte, sur le sol. »



mercredi 13 juin 2012


Eh bien! tâche que ce soit un beau conte à conter dans les jardins de l'Oronte.


Maurice BARRES

Oui, oui, Maurice Barrès!  je sais tout ce qu'on peut en dire, mais s'il vous vient en main ce petit livre: Un Jardin sur l'Oronte, ne vous en privez pas : c'est une perle!


dimanche 10 juin 2012





Les indiens Crees qui ne connaissaient pas les mythes grecs ont  trouvé sur leur route Wichikapache, qui présente pas mal de points communs avec Hermès..
Jacob Nibénegenesabe a raconté à  Howard A. Norman comment Wichikapache lui a offert l'os à voeux:


"Un printemps, près du lac Winnipeg, une oie des neiges apparut, très haut dans le ciel, isolée. Elle descendit en planant, se posa sur le lac et nagea jusqu'au rivage. Tout près, alerté par le vent qui apportait à ses narines l'odeur de l'oie, le lynx se tapit, bien silencieusement. L'oie tendit le cou un instant, aux aguets, Mais avant même qu'elle eût pu s'envoler, le lynx l'avait attrapée et la broyait entre ses dents. Il en dégusta jusqu'aux os et aux plumes... Soudain, alors qu'il allait briser un os pour en sucer la moelle, un homme poussa un cri et en un instant le lynx se retrouva en haut d'un arbre.
Parmi les débris de l'oie, l'homme trouva un os dont on dit qu'il protège le coeur - un os à voeux. Il le contempla avec curiosité. Or, il découvrit bientôt que cet os était un instrument de métamorphose qui lui permettait de "jouer des tours". Grâce à lui, il pouvait faire apparaître des choses, simplement en faisant le voeu, et pouvait aussi changer sa propre apparence, ou encore créer toutes sortes de situations."

Howard A. NORMAN - L'os à voeux-


mercredi 6 juin 2012

Joan Baez - Farewell Angelina (HQ)

Les Deux Frères....d'après Grimm



 Il était une fois deux frères ; l’un était riche et l’autre pauvre. Le riche était orfèvre ; c’était un homme dur. Le pauvre gagnait sa vie tant bien que mal en fabriquant des balais ; il était bon et honnête. Ce pauvre homme avait deux fils ; des jumeaux qui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Ils ne mangeaient pas toujours à leur faim ; aussi leur tante, qui avait bon cœur les faisait souvent venir dans sa cuisine où elle leur donnait en cachette de l’orfèvre des restes de repas et quelques friandises.
Un jour, le pauvre homme alla dans la forêt pour chercher des branches de bouleau dont il avait besoin pour ses balais ; d’un arbre, il vit s’envoler un oiseau comme il n’en avait jamais vu ; un bel oiseau au plumage doré. Il ramassa un caillou, visa et toucha l’oiseau, mais il ne fit tomber qu’une plume et l’oiseau prit son envol. Il ramassa la plume, la porta à son frère ; l’orfèvre l’examina et dit : « Cette plume est faite de l’or le plus pur ; je la garde ! ». Il donna une belle somme  d’argent à son frère. Le lendemain, celui-ci retourna dans la forêt ; il grimpa sur un bouleau pour couper des branches hautes, et voilà que l’oiseau s’envola de cet arbre. L’homme se mit à la recherche du merveilleux volatile et trouva son nid : il y avait dedans, un œuf d’or. Il le prit et alla l’offrir à son frère qui lui en donna un bon prix et ajouta : « Je voudrais bien avoir cet oiseau. » Le pauvre homme retourna dans la forêt, il vit l’oiseau d’or perché sur le bouleau, prit une pierre et cette fois, le fit tomber du premier coup. Il le porta chez son frère qui lui donna en échange un gros sac d’or. Tout content le fabricant de balais rentra chez lui, pensant qu’il ne connaîtrait plus la misère.
Or, l’orfèvre était un peu sorcier ; il connaissait les propriétés de l’oiseau. Il  fit venir sa femme et lui dit de le faire rôtir : « Et fais bien attention : qu’il ne s’en perde pas un morceau ! Personne d’autre que moi ne doit en manger ! 
Il savait, cet homme cupide, que s’il mangeait le cœur et le foie du bel oiseau il trouverait chaque matin une pièce d’or sous son matelas. La femme mit l’oiseau à la broche et continua de s’occuper ailleurs dans la maison. C’est le moment que choisirent les jumeaux pour entrer dans la cuisine,  espérant y trouver quelque chose de bon.
 Ils virent l’oiseau à la broche qui dorait un peu trop d’un côté. Pour se rendre utiles, ils donnèrent deux ou trois tours et voilà que deux petits morceaux sont tombés ; les enfants ne purent résister à l’envie de les goûter, pensant que personne ne verrait rien.
Le femme revint et les voyant mâcher leur demanda ce qu’ils mangeaient. « Juste deux petits bouts de l’oiseau qui étaient tombés dans la braise », avouèrent-ils. Or, c’était justement le cœur et le foie qui s’étaient détachés. La femme, craignant des reproches, tua un coq et mit son cœur et son foie à l’intérieur de l’oiseau. Quand il fut rôti à point, elle l’apporta à son mari qui l’engloutit tout entier et tout seul ; il n’en laissa pas même un os ! Le lendemain au réveil, il passa la main sous son matelas et n’y trouva rien.
Les jumeaux, en revanche, furent bien surpris d’entendre tinter du métal en se levant ; et bien joyeux de trouver deux pièces d’or. Ils les portèrent à leur père qui fut bien surpris à son tour.
Le lendemain et les jours suivants il en fut de même. Le naïf faiseur de balais s’en alla conter à son frère l’étrange phénomène. L’orfèvre comprit aussitôt que les garçons avaient mangé le cœur et le foie de l’oiseau d’or. Malade de rage, il dit au père : « Tes enfants sont possédés du démon ! Ne touche pas à cet or et chasses-les de ta maison avant qu’ils ne te mènent à ta perte. » Le pauvre homme aimait ses enfants, mais il redoutait le diable encore plus et c’est avec désespoir qu’il conduisit les jumeaux au cœur de la forêt où il les abandonna.
Les deux enfants voulurent  retrouver leur maison ; ils marchèrent de ci, de là dans les sentiers ; plus ils avançaient, plus ils s’égaraient. Enfin, ils rencontrèrent un chasseur qui leur demanda ce qu’ils faisaient tous seuls dans la forêt. « Nous sommes les fils du fabricant de balais ; notre père ne veut plus de nous à cause de la pièce d’or que nous trouvons chaque matin à notre réveil. – Bon, dit le chasseur, je ne vois pas où est le mal, si ça ne vous rend pas paresseux ! » Le chasseur n’avait pas d’enfants et ces deux là lui plaisaient bien ; il les prit avec lui. Il les éleva comme un père, leur apprit à chasser et mit de côté les pièces d’or pour les aider plus tard à s’établir.
Les jumeaux grandirent et vint le jour où le chasseur les emmena dans les bois pour faire leurs preuves. Ils se mirent à l’affût et attendirent… longtemps…longtemps… aucun gibier ne se montrait. Le chasseur en regardant le ciel aperçut un vol d’oies sauvages ; elle formaient un triangle : il dit à un des garçons : « Abats-en une à chaque coin. », ce que fit le garçon, avec succès. Peu de temps après, un autre vol traversa le ciel ; il formait le chiffre deux ; le chasseur dit à l’autre jumeau d’en abattre une à chaque coin et le garçon réussit. « Bien, dit le chasseur, vous êtes à présent des hommes et des chasseurs accomplis ! » Les jumeaux s’enfoncèrent dans la forêt, discutèrent longtemps et revinrent d’accord chez leur père adoptif. Le soir au dîner, ils lui dirent : « Nous avons une prière à formuler et nous ne mangerons rien tant que vous ne l’aurez pas exaucée ! – Quelle prière ? – Nous voulons connaître le vaste monde ; laissez-nous faire notre tour de compagnons. » Le chasseur répondit tout joyeux : « J’espérais cette demande ! Vous voilà devenus de fiers chasseurs ; partez, vous avez ma bénédiction ! ». Ils burent et mangèrent joyeusement tous les trois.
Quand vint le jour du départ, le chasseur donna à chacun un bon fusil et un chien et toutes les pièces d’or dont ils avaient besoin. Il les accompagna un moment et avant de les quitter, leur donna en plus un couteau de métal brillant  et leur dit : « Si vous devez un jour vous séparer, plantez ce couteau dans un arbre à la croisée des chemins ; le premier qui reviendra saura ce qu’il est advenu de son frère : s’il est rouillé, c’est qu’il est mort ; s’il est resté brillant, il est toujours en vie. »
Les jumeaux poursuivirent leur route ; ils arrivèrent dans une forêt si étendue qu’à la fin de la journée, ils n’en avaient pas vu le bout. Ils y passèrent la nuit et mangèrent leurs provisions. A la fin du deuxième jour, ils n’étaient toujours pas sortis de la forêt ; ils n’avaient plus rien à manger.
Un des deux frères chargea son fusil et chercha du gibier ; un vieux lièvre  traversa le chemin, il le mit en joue, mais le lièvre s’arrêta et pria :

« Gentil chasseur, laisse moi la vie

Et je te donnerai deux petits. »

Il sauta dans le fourré d’où il ramena deux petits ; ils étaient si jolis et si confiants que les chasseurs n’eurent pas le cœur de les tuer ; ils les gardèrent avec eux et partirent en quête d’un autre gibier, suivis des deux levrauts. Un renard alors, traversa le chemin, ils allaient l’abattre quand le renard chantonna :
« Gentil chasseur, laisse-moi la vie
Et je te donnerai deux petits. »

Il poussa devant lui deux renardeaux si jolis et si confiants que les chasseurs n’eurent pas le cœur de les tuer. Ils repartirent suivis des jeunes et renards et des levrauts. Un loup sortit alors des fourrés ; quand il les vit épauler, il aboya :
« Gentil chasseur, laisse-moi la vie
Et je te donnerai deux petits. »

Et voilà nos chasseurs escortés deux louveteaux, deux renardeaux et deux levrauts et toujours rien à manger. Un ours  qui aimait bien la vie grogna à son tour

« Gentil chasseur, laisse-moi la vie
Et je te donnerai deux petits. »

Les deux oursons s’ajoutèrent à la compagnie ; ils étaient huit désormais avec toujours rien à manger. Et qui croyez-vous qui montra son museau ? Un lion énorme qui secouait férocement sa crinière. Sans se démonter, les deux braves chasseurs le mirent en joue mais le lion rugit :

« Gentil chasseur, laisse moi la vie
Et je te donnerai deux petits. »

Il alla chercher les lionceaux. Les jumeaux avaient désormais une escorte de deux lions, deux ours, deux loups, deux renards et deux lièvres. Tous étaient à leur service mais ils avaient toujours faim. Ils dirent aux renards : « Vous deux, les malins, trouvez-nous quelque chose à manger. Vous devez savoir faire ça ! – Bien sûr, répondirent les renards, il y a un village pas très loin ; il est plein de poules. Nous allons vous montrer le chemin. » Enfin sortis de la forêt, les frères ne volèrent pas de poules mais achetèrent au village de quoi les nourrir eux et leurs animaux et reprirent leur route.
Ils allèrent ainsi à l’aventure en cherchant du travail ; mais ils ne purent trouver aucun emploi qui leur permit de rester ensemble. Ils durent se résoudre à se séparer ; ils se partagèrent les animaux, se jurèrent de s’aimer jusqu’à la mort, plantèrent dans un arbre le couteau de leur père adoptif et se dirent adieu et bonne chance. L’un partit vers l’est, l’autre vers l’ouest.
L’un d’eux arriva, suivi de ses animaux dans une ville entièrement tendue de crêpe noir. Il chercha une auberge où l’on accepterait ses bêtes. Il en trouva une dont le patron leur laissa une écurie ; par un trou du mur, le lièvre put aller se chercher un chou et le renard une poule et un coq. Mais le trou était trop petit pour le lion l’ours et le loup ; l’aubergiste leur indiqua un pré où une vache était couchée. La bête serait leur repas du soir. Quand il eut bien pris soin de ses bêtes, le chasseur entra dans l’auberge et demanda pourquoi la ville était ainsi tendue de crêpe noir. « Parce que demain, dit l’aubergiste, la fille du roi doit mourir. – Elle est donc bien malade ? – Mais non, pensez vous ! Elle est fraîche et belle comme une rose, mais elle doit mourir. – Mais pourquoi ? – A cause du dragon ! – Quel dragon ? » Et l’aubergiste raconta que sur la haute montagne qui dominait la ville, habitait un dragon. Un dragon qui dévastait le pays jusqu’à ce qu’on lui donne tous les ans une jeune fille vierge. On lui avait déjà livré toutes les jeunes filles de la ville et il ne restait que la fille du roi. On devait sans rémission, la livrer le lendemain au dragon. Et ensuite… ensuite… à la grâce de Dieu !
« Qu’attend-on pour tuer ce monstre ? » demanda le chasseur. « Tant de chevaliers y sont allés qui ont perdu la vie ! Le roi a promis sa fille en mariage et son royaume en héritage à celui qui vaincrait le dragon, mais personne ne veut plus s’y risquer ! » Le chasseur ne répondit rien.

Le lendemain, il prit avec ses bêtes la direction de la montagne. Au sommet se dressait une chapelle ; sur l’autel étaient posées trois coupes et devant, une inscription : « Qui videra les coupes deviendra le plus fort du monde. Il pourra prendre l’épée qui est fichée dans le parvis. » Le chasseur ne toucha pas aux coupes et sortit pour prendre l’épée ; elle était impossible à bouger. Alors il rentra dans la chapelle, vida les coupes et se sentit assez fort pour prendre l’épée qui lui sembla même fort légère à manier. Puis il attendit. Au bas de la montagne, apparut un cortège : le roi, sa cour et son connétable accompagnaient la princesse, qui eut d’abord un mouvement de recul, puis, se souvenant que son devoir était de sauver sa ville, elle gravit courageusement le chemin du sommet. Le roi et toute la cour s’en retournèrent éperdus de douleur ; seul, le connétable resta pour assister au sacrifice.
Quand elle arriva au sommet de la montagne, la princesse ne vit pas de dragon, mais le beau chasseur  qui l’entoura d’un bras protecteur : « Ne craignez rien, princesse, je suis ici pour vous sauver. Enfermez vous dans la chapelle et n’en bougez sous aucun prétexte. » . Le dragon arrivait et la princesse s’évanouit d’horreur avant que le chasseur ait fini de fermer la porte.
Voyant un solide gaillard à la place d’une jeune fille, le dragon furieux gronda : « Que viens-tu faire ici ?
- Je viens me battre avec toi !
 – De plus solides que toi y ont perdu la vie ; je me débarrasserai de toi comme des autres ! »
Et ses sept gueules se mirent à cracher du feu, l’herbe sèche flambait tout autour et une épaisse fumée allait étouffer le jeune homme, quand ses animaux se mirent à piétiner le sol pour éteindre le feu. Le dragon se jeta sur le chasseur, mais celui-ci brandit son épée si vite qu’elle siffla en l’air et trancha trois têtes d’un seul coup. De plus en plus furieux, le dragon se dressa, se précipitant sur le jeune homme en crachant des flammes par les gueules qui lui restaient ; il brandit à nouveau son épée et trancha encore trois têtes. Le monstre était à bout de forces et le chasseur épuisé.
Comme le dragon se jetait encore une fois sur lui, il parvint à lui trancher la queue ; il aurait du abandonner la lutte sans le secours de ses animaux qui se jetèrent sur le dragon et le mirent en pièces. Il souffla un peu, puis alla ouvrir la porte de la chapelle où il trouva la princesse toujours sans connaissance. Il la porta dehors. L’air frais la ranima ; elle ouvrit les yeux et vit ce qui restait du monstre. Elle soupira de bonheur : elle était délivrée et aussi, comme elle était promise à celui qui vaincrait le dragon, elle allait devenir l’épouse de ce beau chasseur.
Quand elle sut la part qu’avaient pris les animaux à sa délivrance, elle détacha de son cou un collier de corail et pour les remercier, en donna à chacun un morceau ; le lion eut pour sa part le fermoir en or. Elle avait encore un mouchoir brodé à son nom dont elle fit cadeau à son fiancé. Celui-ci, qui venait de couper les langues du dragon, les emballa dans le mouchoir et mit soigneusement le paquet de côté.
Mais il était fatigué par le dur combat qu’il venait de mener, autant que la jeune fille par les émotions. Il lui proposa de dormir un moment dans la chapelle avant de regagner la ville. « Tu monteras la garde, dit-il au lion » Et les deux fiancés s’endormirent.
 Le lion se coucha devant la porte, bien décidé à défendre son maître en cas de besoin ; mais lui aussi était fatigué. Il appela l’ours : « Couche-toi à côté de moi et réveille moi si je m’endors. » L’ours se coucha à côté de lui, mais lui aussi était fatigué ; il appela le loup : « Couche toi à côté de moi et réveille-moi si je m’endors. »
Comme le loup était fatigué, il appela le renard : « Couche-toi à côté de moi et réveille moi si je m’endors. »
Le renard était fatigué, il appela le lièvre : « Couche-toi à côté de moi et réveille moi si je m’endors. »
Mais le lièvre s’était battu autant que les autre, le pauvre était aussi fatigué et il s’endormit sans avoir personne pour veiller à sa place.
La princesse, le chasseur, le lion, l’ours, le loup, le renard et le lièvre étaient tous profondément endormis.
Quand il fut bien certain que la bataille était finie, le connétable,  n’écoutant que son courage, grimpa jusqu’au sommet de la montagne ; il vit le dragon mis en pièces et ses vainqueurs assoupis. Le traître alors, prit son épée, trancha la tête du chasseur et prenant la princesse par un bras
il la traîna jusqu’au bas de la montagne. Elle vit avec terreur la tête tranchée de son sauveur : elle était aux mains du connétable qu’elle détestait. Il menaçait de la tuer si elle ne disait pas que c’était lui qui avait vaincu le dragon. La princesse qui n’avait jamais menti répondit : « C’est impossible, puisque c’est l’œuvre du chasseur et de ses animaux ! » Mais il tira son épée et la jeune fille terrorisée donna sa parole.
Le roi, fou de joie de voir revenir sa fille vivante, la serra dans ses bras.
Le connétable alors, exigea la princesse pour femme, puisqu’il avait, prétendait-il, délivré le royaume du dragon. Le roi était méfiant : « Dit-il la vérité ? » demanda-t-il à sa fille. « Il faut le croire, répondit-elle. » Mais elle demanda un délai d’un an et un jour pour se préparer à ses noces, espérant elle ne savait trop quoi. Le roi y consentit  et le connétable, contrarié, ne put faire autrement que patienter.

Pendant ce temps, sur la montagne, les animaux dormaient toujours près du cadavre de leur maître. Un gros bourdon vint se poser sur le nez du lièvre qui le chassa d’un coup de patte sans se réveiller. Le bourdon revint et sans interrompre son somme, le lièvre le chassa encore. Le bourdon revint une troisième fois et piqua le nez du lièvre si fort que cette fois, il s’éveilla. Aussitôt, il réveilla le renard, qui réveilla le loup, qui réveilla l’ours, qui réveilla le lion. Le lion en ouvrant les yeux ne trouva plus la  princesse et vit son maître décapité. Il rugit comme un fou : « Qui a fait cela ? Ours, pourquoi m’as-tu laissé dormir ? »
 L’ours grogna affolé : « Qui a fait cela ? Loup, pourquoi m’as-tu laissé dormir ?. »
Le loup hurla de désespoir : « Qui a fait cela ? Renard, pourquoi m’as-tu laissé dormir ? »
Et le renard glapit : « C’est de ta faute, lièvre, je t’avais dit de me réveiller ! »
Le lièvre désespéré ne sut qu’agiter le nez et les oreilles ; les autres se jetaient sur lui. Alors il retrouva l’esprit et la parole et les implora : « C’est de ma faute, mais ne me tuez pas ; je sais comment rendre la vie à notre maître : à deux cent lieues d’ici, je connais une montagne où pousse une racine magique ; elle guérit les blessures et préserve des maladies. » Le lion dit : « Tu as vingt-quatre heures pour faire l’aller et retour et rapporter la racine. » Le lièvre fila comme le vent, et le jour suivant, il était de retour avec la racine. Le lion remit la tête du chasseur sur ses épaules, le lièvre lui plaça la racine dans la bouche et l’on vit les morceaux se rassembler, le cœur se remettre à battre, la vie revenir. Le chasseur se réveilla et ne voyant pas la jeune fille, il crut qu’elle s’était sauvée pour ne pas l’épouser. Cette pensée le rendit si triste qu’il resta longtemps sans bouger, plongé dans de sombres pensées. Vers le milieu du jour, les animaux le prièrent de manger un peu ; pour cela, il dut bouger. Il était très gêné dans ses mouvements et ne pouvait marcher qu’à reculons. Le lièvre dit tout bas au renard : « Notre maître à la tête à l’envers ; c’est le lion qui a fait ça, mais je n’ose pas le dire ! » Le renard alla trouver le loup : « Comment dire au lion qu’il a mis la tête de notre maître à l’envers ? » Et le loup dit à l’ours : « Notre maître a la tête à l’envers ; il faut le dire au lion. » L’ours qui était assez fort pour ne pas craindre le lion l’apostropha : « Tu as vu ce que tu as fait ? La tête de notre maître est à l’envers ! – Et pourquoi ai-je la tête à l’envers, demanda le chasseur ? »
Le lion s’arrachait la crinière : « Tout va de plus en plus mal ! » Et il raconta au chasseur comment ils s’étaient tous endormis, comment le connétable lui avait coupé la tête et enlevé la princesse, comme le lièvre était allé chercher la racine et comment il avait replacé la tête, mais à l’envers. « Et maintenant, qu’allons-nous faire ? »

Le lièvre dit timidement en fronçant le nez et en remuant les oreilles : « J’avais pris deux racines ; maître mordez-là solidement pendant que le lion vous détache la tête et la remet à l’endroit. »
Bien que remis en état, le chasseur resta triste d’avoir perdu sa fiancée qu’il croyait mariée au connétable.
 .Il partit à travers le monde, et faisait danser ses animaux pour gagner leur vie. Une pièce d’or par jour, c’est peu pour nourrir un lion, un ours, un loup, un renard et un lièvre ; sans compter lui-même et son chien. En allant ainsi d’un ville à l’autre, il finit par se retrouver dans celle qu’il avait délivrée du dragon. Elle était cette fois toute tendue d’écarlate. Il prit pension chez l’aubergiste qui avait bien accueilli ses animaux : « Pourquoi, demanda-t-il, la ville est-elle tendue d’écarlate alors qu’il y a un an elle était voilée de crêpe noir ? » « Il y a un an, répondit l’aubergiste, la fille du roi devait être livrée au dragon ; mais le connétable l’a tué et aujourd’hui, il va l’épouser. » Le chasseur alla se coucher sans rien dire.
Le lendemain au déjeuner, il dit à l’aubergiste : « Croyez-vous possible que ce jour même, je mange du pain provenant de la table du roi ?- C’est tellement impossible que je suis prêt à parier cent pièces d’or que vous n’y arriverez pas. » Le chasseur accepta le pari et donna sa bourse en gage : elle contenait exactement cent pièces d’or. Puis il appela son lièvre : « Mon petit ami agile, saute jusqu’au palais et rapporte moi du pain de la table du roi. ». C’était une mission dangereuse ; en sautant à travers la ville, il aurait tous les chiens à ses trousses ; ce qui ne manqua pas d’arriver. Toujours poursuivi, il arriva près du palais et se cacha dans la guérite d’un garde. Les chiens tentèrent de l’en faire sortir en sautant, en grattant et en aboyant, mais le garde qui n’avait pas vu le lièvre cogna sur les chiens avec la crosse de son fusil pour les faire cesser ; ils s’enfuirent tous en hurlant et en gémissant. Le lièvre sortit de la guérite, traversa la cour du château,  alla tout droit chez la princesse ; il se cacha sous son fauteuil et avec sa patte, lui gratta le pied. « Veux-tu bien finir ! », dit la princesse croyant que c’était son chien. Le lièvre recommença, mais la princesse croyait toujours que c’était son petit chien ; elle voulut le chasser. Le lièvre obstiné, gratta un troisième fois et la princesse se baissa pour voir qui lui grattait le pied ainsi. Elle vit le lièvre et le reconnut à son collier de corail. Elle le prit dans ses bras, l’emmena dans sa chambre où elle lui dit : « Que veux-tu, gentil lièvre ? – Mon maître qui a tué le dragon m’envoie vous demander du pain de la table du roi » Tout heureuse de savoir le chasseur revenu, la princesse fit chercher le boulanger et lui ordonna d’apporter un pain semblable à celui qu’il pétrissait pour le roi. Le petit lièvre alors plissant le nez et remuant les oreilles dit : « Il faut que le boulanger le porte avec moi et qu’il empêche les chiens de me courir après. » Le boulanger l’accompagna jusqu’à l’auberge : le lièvre prit le pain avec ses pattes de devant et le porta à son maître. Le chasseur appela l’aubergiste : « Vous avez perdu ! Les cent pièces d’or sont à moi. Mais, le pain tout seul, c’est un peu sec ! Il me faudrait avec du rôti du roi. » L’aubergiste se mit à rire : « Je voudrais bien voir ça ! – Vous pariez ? – Dame, non ! J’ai perdu cent pièces d’or ; c’est bien assez. »
Le chasseur appela son renard : « Mon petit rouquin, va donc me chercher un morceau du rôti que mange le roi. » Ce n’était pas le renard qui allait risquer de se faire courser par les chiens ; il connaissait tous les passages dérobés qui menaient jusqu’à la chambre de la princesse ; il se glissa sous son fauteuil et lui gratta le pied. Elle glissa tout de suite la main dessous, ramena le renard qu’elle reconnut tout de suite à son collier : « Que veux-tu, gentil renard ? – Mon maître qui a tué le dragon m’envoie vous demander un morceau de rôti de la table du roi. » Elle fit venir le cuisinier, qui prépara le rôti, qui accompagna le renard jusqu’à l’auberge. Le renard prit le plat, chassa de sa queue quelques mouches qui étaient posées dessus et le porta à son maître. «  Aubergiste, mon ami, dit le chasseur, voici le pain et la viande ; il me faudrait à présent quelques légumes du jardin du roi ! » L’aubergiste hocha la tête et le chasseur siffla son loup : « Mon cher loup, va donc me chercher des légumes du jardin du roi. » Le loup qui ne craignait rien ni personne, fila tout droit chez la princesse ; il lui tira l’épaule avec sa patte ; en se retournant, la princesse reconnut le collier : « Cher loup, que veux-tu ? – Mon maître qui a tué le dragon demande des légumes du jardin du roi. » La princesse fit venir le jardinier qui prépara un panier de légumes, le porta jusqu’à l’auberge. Le loup prit le plat et l’apporta à son maître : « Messire aubergiste, j’ai le pain, la viande et les légumes ; il me manque à présent le dessert du roi. » L’aubergiste soupira et le chasseur fit venir son ours : « Mon bon ours, toi qui es si gourmand, va au château demander pour moi une part du dessert du roi. » L’ours trotta jusqu’au château et tout le monde s’écartait pour le laisser passer, sauf les gardes qui sortirent leur fusil ; mais un coup de patte à gauche, un coup de patte à droite et la garde s’écroula.
Il se rendit tout droit chez la princesse, se mit derrière elle et grogna doucement. Elle se retourna, vit le collier : « Cher ours, que veux-tu ? – Mon maître qui a tué le dragon, voudrait une part du dessert du roi. » Elle fit venir le pâtissier qui apporta un plat de gâteaux semblables à ceux dont s’était régalé le roi ; il les porta jusqu’à l’auberge . L’ours prit le plat et en goûta un peu avant de le porter à son maître. « Vous voyez, monsieur l’aubergiste qu’il ne me manque rien du dîner du roi…. Sauf… un bonne bouteille de vin de la cave du roi . » L’aubergiste sourit, haussa les épaules et le chasseur fit venir son lion. « Mon cher lion, toi qui aimes bien boire un coup, va donc me chercher du vin de la cave du roi. » Sur le passage du lion, les gens prenaient la fuite et les plus braves des gardes qui voulurent l’empêcher de passer s’écartèrent au premier rugissement. Il monta chez la princesse, s’arrêta devant la porte et frappa trois fois avec sa queue. La princesse fit ouvrir et voyant le fermoir d’or commanda le calme à ses suivantes affolées. Le lion entra : « Gentil lion, que veux-tu ? – Mon maître qui a tué le dragon m’envoie demander du vin de la cave du roi. » La princesse fit venir le sommelier et lui demanda le vin que buvait le roi et le lion dit : « Je vais avec lui, pour vérifier qu’il me donne le bon vin. » Il descendit avec le sommelier dans la cave ; celui-ci alla vers le tonneau du vin qu’on servait à l’office, mais le lion voulut le goûter : « Non, dit-il, ce vin n’est pas le bon ! » Le sommelier alla vers le tonneau qu’on réservait au connétable, mais le lion exigea de le goûter : « Celui-ci est meilleur mais ce n’est pas encore le bon ! » Le sommelier grommela : « Je me demande un peu ce qu’un lion peut bien connaître en vin ! »Le lion qui avait entendu, lui donna derrière les oreilles un maître coup de patte qui le fit tomber sur le sol. Le sommelier se le tint pour dit et une fois relevé, conduisit le lion à une petite cave où étaient les fûts réservés au roi. Le lion goûta, et approuva : « Celui-ci pourrait bien être le bon ! »  Il en fit remplir six bouteilles. Mais en remontant de la cave, le lion qui avait si bien goûté les vins, chancelait un peu, si bien que le sommelier dut porter les bouteilles jusqu’à l’auberge. Le lion prit le panier de bouteilles, le porta à son maître : « Eh bien, dit le chasseur, nous avons maintenant un dîner semblable à celui du roi ; mes animaux et moi pouvons nous mettre à table. » Ils s’installèrent et mangèrent joyeusement, surtout le chasseur qui avait compris que la princesse l’aimait toujours.

 Le repas fini, il dit : « Ami aubergiste, j’ai mangé et bu comme un roi ; maintenant, je vais aller à la cour  et j’épouserai la princesse. – Impossible, répondit l’aubergiste, la princesse est déjà fiancée. Elle doit aujourd’hui épouser le connétable. » Alors le chasseur tira de sa poche les sept langues du dragon enveloppées dans le mouchoir que lui avait donné la princesse : « Voyez-vous,  aubergiste,  ce que je tiens dans cette main va m’y aider. » L’aubergiste considéra le paquet sanglant et dit : « Je veux bien tout croire, mais pas ça ! Tiens, je parie ma maison et mon auberge ! » Le chasseur posa sur la table une bourse contenant mille pièces d’or et lança : « Pari tenu ! »
Le roi, pendant ce temps, dînait avec sa fille : « D’où venaient ces bêtes féroces qui se promenaient partout dans le château et dans tes appartements. – Je ne peux pas vous le dire, mon père, mais faites chercher le maître de ces animaux vous n’aurez pas à le regretter. » Le roi envoya un messager à l’auberge qui arriva juste au moment ou le chasseur pariait avec l’aubergiste : « Vous voyez, ami aubergiste, le roi envoie son messager pour m’inviter aux noces de sa fille. Mais attendez… » Et il dit au serviteur : « Je ne peux me rendre au mariage de la princesse dans un si modeste équipage. Demandez lui de me faire envoyer les habits, le carrosse, les chevaux et les serviteurs qui conviennent à un invité du roi. » Le messager porta cette réponse au roi qui demanda à sa fille : « Que faut-il faire ? – Faites ce qu’il demande, père.  Vous n’aurez pas à le regretter. » Le roi envoya de riches habits, un carrosse, six chevaux et des domestiques . « Vous voyez, ami aubergiste, dit le chasseur, le roi me fait chercher comme je l’ai demandé. »
Il revêtit les beaux habits et sans oublier les langues du dragon, il monta dans le carrosse pour se rendre à la cour. Le roi, qui pressentait un mystère, en le voyant arriver dit à sa fille : « Comment faut-il le recevoir ?- Allez à sa rencontre, mon père, vous n’aurez pas à le regretter. » Le roi alla au devant de lui et le conduisit, suivi de ses animaux dans la grande salle du trône. Il le fit asseoir à côté de lui et de la princesse. Le connétable était assis de l’autre côté, mais il ne reconnut pas le chasseur.
(Or, on apportait solennellement les sept têtes du dragon et le roi dit : « Voici les sept têtes que le connétable a coupées au dragon ; pour ce service, je lui donne aujourd’hui ma fille. » Le chasseur se leva, ouvrit les sept gueules et dit : « Pourquoi ces têtes n’ont-elles pas de langues ? » Le connétable devint tout pâle mais dit avec aplomb : « Parce que les dragons n’ont pas de langues ! – Ce sont les menteurs qui devraient n’en pas en avoir, répondit le chasseur, car pouvez-vous dire d’où viennent celles-ci ? » Il sortit le paquet, défit le mouchoir ; les sept langues s’adaptaient parfaitement aux sept gueules dont elles avaient fait partie.  Puis il montra à la princesse le mouchoir brodé à son nom et lui demanda à qui elle l’avait donné : « Je l’ai donné a celui qui a tué le dragon. » Il fit venir ses animaux, ôta à chacun son collier et au lion le fermoir d’or ; il demanda à la princesse à qui ils appartenaient : « Ce collier et son fermoir d’or étaient à moi, mais je les ai partagés entre les animaux qui ont aidé à vaincre le dragon.
Et le chasseur fit devant la cour le récit de ses aventures depuis le moment où il s’était endormi après avoir tué le dragon, jusqu’au moment où il avait appris de l’aubergiste, l’imposture du connétable.
Le roi demanda à sa fille : « Ce chasseur dit-il vrai ? » et la princesse qui ne savait pas mentir, répondit : « Oui, père ; mais le connétable m’avait menacé de mort si je racontais la vérité ; c’est pourquoi j’avais demandé ce délai d’un an avant de l’épouser. »
Le roi institua immédiatement un tribunal de douze juges et l’on fit le procès du connétable qui fut condamné à être écartelé par quatre bœufs. Après l’exécution, le roi maria sa fille au chasseur et le nomma gouverneur du royaume.
Le nouveau marié n’oublia pas son père adoptif qu’il combla de présents. Il n’oublia pas non plus le brave aubergiste ; il le fit venir et lui dit : « Vous voyez , ami aubergiste, que j’ai épousé la princesse ; donc votre maison et votre auberge sont à moi ? – C’est juste, puisque j’ai perdu mon pari, répondit piteusement l’aubergiste. – Ce qui est juste, c’est de ne pas vous priver d’un bien dont vous avez plus besoin que moi ; mais puisque vous étiez prêt à honorer votre parole, je vous donne en plus ma mise de mille pièces d’or. »


Les jeunes mariés étaient gais et heureux de vivre ensemble ; cependant le nouveau gouverneur n’oubliait pas ce qu’il avait été et allait souvent à la chasse, suivi de ses animaux.
Or, il y avait dans la voisinage une forêt dont on disait qu’elle était enchantée : qui y pénétrait risquait de ne jamais en sortir. Le jeune gouverneur, naturellement, mourait d’envie d’y aller chasser ; aussi ne laissa-t-il pas de repos au vieux roi tant qu’il ne le lui eut pas permis.
Il se mit en route avec une forte escorte ; à peine entré dans la forêt, il vit une grande biche, blanche comme neige. Il commanda à sa suite de l’attendre car il voulait la poursuivre seul. Il galopa sur les traces de la bête, suivi seulement de ses animaux. Ses gens, selon ses ordres l’attendirent, mais le soir venu, il ne revint pas. Ils durent rentrer au château et annoncer à son épouse la triste nouvelle. La jeune femme se mit à craindre pour sa vie .
Le chasseur, lui, avait suivi la biche, mais sans parvenir à la rattraper. Chaque fois qu’il croyait l’atteindre, elle bondissait toujours plus loin et il finit par perdre définitivement sa piste. Il était alors au plus profond de la forêt : il sonna de la trompe mais rien ne répondit.  Il était trop loin de ses gens pour qu’ils puissent l’entendre. La nuit tombait ; il descendit de cheval et fit du feu, résolu à dormir sur place et pensant retrouver sa route avec le jour.
Il s’établit près du foyer, ses animaux autour de lui et allait s’endormir quand il lui sembla entendre une voix humaine. Il regarda autour de lui mais il faisait sombre et il ne vit rien. Il se disposait à nouveau à dormir quand il entendit cette fois, des gémissements.
)Ils semblaient provenir d’au-dessus de lui ; il leva la tête et aperçut dans un arbre, une vieille femme, qui se lamentait en grelottant : « Oh ! Que j’ai froid, que j’ai froid ! » Il lui dit : « Viens près du feu, te chauffer- Non, non, toutes ces bêtes féroces me font peur – Elles ne sont pas méchantes ! Allez, descend de ton arbre, viens te chauffer ; - Je vais d’abord te lancer mon bâton ; tu leur en donneras un petit coup sur le dos, comme cela je serai sûre qu’elles se tiendront tranquilles. »
Et le naïf qui n’avait pas compris que la vieille était une sorcière, prit le bâton, toucha ses bêtes qui instantanément furent changées en pierres. Profitant de sa stupeur, la vieille sauta lestement à bas de l’arbre, prit le bâton et toucha le jeune homme qui devint pierre à son tour. Elle éclata d’un méchant rire et le poussa lui et ses animaux dans une fosse où se trouvait déjà un grand nombre de pierres semblables.
C’est dans ce temps que l’autre jumeau, celui qui était parti vers l’est,  arriva dans le royaume. Il avait cherché du travail, n’en avait pas trouvé et lui aussi avait erré de ci, delà, à l’aventure,  en faisant danser se animaux, quand sa pièce d’or quotidienne ne suffisait pas. Et puis, son frère commença à lui manquer et il retourna à la croisée des chemins, là où ils s’étaient séparés. Le couteau était toujours planté dans l’arbre, mais il était brillant d’un côté et rouillé de l’autre. Il comprit que son frère était en danger mais qu’il était encore temps d’aller à son secours. Il prit donc la route de l’ouest. Quand il arriva aux portes de la ville, suivi de ses animaux, les gardes vinrent à sa rencontre : « Nous allons dit le chef, annoncer votre retour à la reine ! Elle en sera bien heureuse, car elle vous croit disparu dans la forêt enchantée. Il comprit qu’on le prenait pour son frère. Il résolut de se faire passer pour lui. La jeune reine, heureuse de retrouver son époux lui reprocha de s’être absenté si longtemps. « C’est que répondit-il, je me suis égaré dans la forêt et j’ai eu bien du mal à retrouver mon chemin. Le soir, il partagea la chambre et le lit de la reine, mais il mit entre eux deux une épée à double tranchant ; elle en fut surprise et peinée mais n’osa pas poser de question. Pendant plusieurs jours il se renseigna sur la forêt enchantée et quand il en sut assez, il annonça qu’il retournait à la chasse. Le roi et sa fille voulurent l’en dissuader, mais il s’obstina et partit comme la première fois, suivi d’une forte escorte. A peine entré dans la forêt, il vit la biche blanche et dit à ses gens de l’attendre, pendant qu’il poursuivrait la biche. Ses animaux coururent derrière lui, mais pas plus que son frère, il ne put rattraper l’animal.
Comme son frère, il ne put sortir de la forêt, comme son frère, il fit un feu, et comme lui entendit gémir et grelotter. Il dit à la vieille de descendre se chauffer, elle dit qu’elle avait peur des animaux et proposa de lancer son bâton ; mais contrairement à son frère, il se méfia : « Je ne frappe pas mes animaux ! Descend, ou c’est moi qui viens te chercher ! – Qu’est-ce que tu crois, ricana la sorcière, on ne me touche pas si facilement ! -  Descend, ou je te tire dessus ! – Tire, donc ! ça m’est bien égal ! » Elle savait bien que les balles de plomb ne pouvaient pas l’atteindre. Il épaula, visa, tira : et la sorcière ne fit que ricaner. Le chasseur avait compris ; il arracha trois boutons d’argent de son gilet et en chargea son fusil.
Si elle était invulnérable au plomb, en revanche, l’argent pouvait l’atteindre et le jeune homme visait juste ; elle s’écroula en hurlant. Il posa le pied sur elle et lui dit : « Si tu ne veux pas finir dans ce feu, dis moi à l’instant ce que tu as fait de mon frère. » Prise de peur, elle avoua : « Je l’ai pétrifié ! Il est couché dans cette fosse avec ses animaux. » Il l’empoigna et la força à descendre avec lui dans la fosse. « Méchant vieux hibou, rends la vie à mon frère et à tous ceux qui sont avec lui, sinon, je te jette dans le feu ! »


La sorcière prit son bâton et en toucha toutes les pierres.
Le frère et ses animaux, et aussi  d’autres chasseurs, des bergers, des bûcherons et bien d’autres, s’ébrouèrent et remercièrent les deux frères, heureux d’être délivrés et de pouvoir rentrer chez eux.
Après s’être embrassés, les deux frères s’emparèrent de la sorcière et la jetèrent dans le feu. Quand elle fut entièrement consumée, la forêt s’éclaircit soudain et par une large ouverture on put voir le château royal à quelques lieues de là.
Les deux frères rentrèrent ensemble en se racontant leurs aventures ; l’un ayant  expliqué comment il avait épousé la princesse et qu’il était maintenant gouverneur et plus tard régnerait à la place du roi, l’autre, dit : « C’est pour cela qu’on m’a rendu les honneurs royaux quand je suis arrivé ! La jeune reine m’a pris pour toi et j’ai dîné avec elle et dormi dans ton lit. » Quand il entendit ces mots, fou de jalousie, le gouverneur tira son épée et trancha la tête de son frère. Mais quand il vit le sang couler, il fut pris d’un violent remord ; il se mit à gémir : « Je suis maudit ! Mon frère m’a délivré de la sorcière et moi, ingrat, je l’ai tué ! » Il pleurait, inconsolable ; alors son lièvre vint près de lui : « Maître, souvenez-vous ! Je vais aller chercher la racine de vie ; »
Le gentil lièvre, fit un bond, prit une bonne provisions de racines – on ne sait jamais – fit un bond dans l’autre sens, mit une racine entre les dents du décapité. On recommanda au lion de faire attention et il recolla la tête à l’endroit. Le mort se ranima et ne se ressentit pas du tout de sa blessure. Les deux frères reprirent le chemin du palais. Puisqu’ils étaient exactement semblables, vêtus de la même façon et avec la même escorte d’animaux, ils résolurent de rentrer chacun par une porte de la ville. Et c’est ainsi que le roi vit la sentinelle de la porte de l’est et la sentinelle de la porte de l’ouest, venir annoncer que le gouverneur était rentré. « Impossible dit le roi, il ne peut être rentré par deux portes à la fois ! » A ce moment, les deux frères, suivis de leurs animaux, entraient dans la cour du château, chacun par un côté.
Le vieux roi se frotta les yeux et dit à ses fille : « J’espère que tu peux savoir lequel des deux est ton époux ! Car pour moi, ils sont tellement semblables que j’en suis incapable ! ». La jeune reine était bien embarrassée, elle ne savait que dire. Puis elle se souvint du collier, elle chercha dans les crinières et trouva sur l’un des lions, le fermoir d’or. Soulagée, elle s’écria : « Celui que suit ce lion, celui-là est mon époux bien-aimé ! » tout le monde rit, s’embrassa, puis l’on passa à table. Après avoir bu, mangé, écouté les troubadours et admiré les jongleurs. Quand les époux regagnèrent leur chambre, la jeune reine osa enfin demander : «  Pourquoi cher époux, la dernière nuit que nous avons passé ensemble, as-tu mis entre nous cette épée à double tranchant ? J’ai cru un moment que tu voulais ma mort ! » . Le jeune homme la serra contre lui, heureux et soulagé d’être certain que sa femme et son frère lui avaient toujours été fidèles.


Les Chouchous