Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mercredi 9 mai 2012

Opéra-fantôme42

Lucrèce leva vers lui des yeux inquiets. « Je pourrais vous loger pour un temps dans un endroit que je partage avec des amis, mais…, » Et comme on se jette à l’eau, il lança : « Je suis comédien ! » Lucrèce eut un sursaut ; comédien ! un saltimbanque, un de ces êtres rejetés par l’église… elle ne pouvait vraiment pas… Vraiment pas quoi ? Ses pensées tournaient à toute vitesse ; rejetés par une Eglise qui soutenait l’homme abject qui avait voulu la violer, qui ne lui donnait d’autre alternative que de s’enfermer pour la vie parmi les nonnes ? Et l’envie lui vint de prendre sa revanche : sa famille l’avait contrainte à la rue, elle leur apporterait le déshonneur. Oui, elle allait suivre le comédien ; oui, et si on voulait d’elle, elle ferait partie de la troupe, elle monterait sur scène et sa famille en mourrait de honte !
Et voilà comment changea le destin de Lucrèce… une nouvelle vie pleine d’attraits, de difficultés aussi, mais Lucrèce ne les redoutait pas les difficultés. Elle fut bien accueillie, elle sut se rendre utile, se contenter de ce qu’on lui proposait et puis, Florimond l’aidait beaucoup.
Il y avait bien longtemps qu’il la regardait quand elle venait prier à Saint Gervais ; bien longtemps qu’il se demandait comment l’aborder et puis ce hasard ,cette chance finalement qui l’avait jetée à la rue au moment où lui pouvait l’aider. Ils auraient pu s’aimer, mais le hasard encore lui, fit qu’une étincelle allumée embrasa le théâtre ; de la charpente en bois, des décors de carton, des costumes, il ne resta rien. De Florimond non plus, on ne retrouva rien.
On rassembla de quoi monter un spectacle, on trouva un chariot, un cheval ; Lucrèce suivit la troupe au gré des routes. Ces routes dont une passait par les Authieux.
Voilà ce que contait le journal de Louis…

Estournelle éternua ; ses ongles s’effritaient, ses paupières la brûlaient, sa peau était sèche ; l’effet du vieux papier. Mais pour rien au monde, elle n’aurait abandonné l’entreprise. Quelle histoire ! que d’histoires révélées dans ces vieux cahiers !!! Elle allait en avoir des choses à raconter quand Marlon serait de retour.. Marlon qui semblait pour lors s’intéresser moins au passé de sa maison qu’à l’avenir du village.
Le compositeur, était parisien, artiste et il avait acheté le château : trois bonnes raisons pour que la commune renâcle à l’intégrer. Et puis un jour, il avait participé à une remise de prix, on l’avait vu à la télé ; mieux encore, il avait eu sa photo dans un magazine à ragots qu’on pouvait lire chez le coiffeur. Du coup, le village l’avait reconnu comme une personnalité et on le saluait aimablement.  Aux Authieux soudain, les travaux avançaient. La récente notoriété locale de Marlon motivait l’artisan flatté d’entrer dans la demeure d’un homme dont sa femme avait vu le portrait dans la presse.
L’église venait d’être restaurée ;le conseil municipal vint en délégation pour demander à la « pipeule » communale de les aider à y organiser un concert. Marlon pas rancunier, accepta. Il en oublia pour un temps Soline et les fantômes.
Il allait falloir trouver des musiciens qui acceptent de jouer contre un week-end à la campagne, puisque le budget de la commune ne prévoyait aucune dépense à motivation culturelle. Marlon décida de se rendre à Paris dans l’idée de convaincre des copains sans engagements des bienfaits du grand air. Et d’ inviter d’autres copains à venir les écouter. Les uns engageraient les autres... pour le plus grand bien de tout le monde.
Il commença par passer deux semaines à concocter différents programmes et décida d’en soumettre deux à la commission  des fêtes : un moderne et un plus classique. Il ne se doutait pas du désarroi qu’il allait provoquer ! Rassemblés autour de la longue table de la salle du conseil, les membres de la commission culture hochaient la tête, se raclaient la gorge : ils n’avaient manifestement jamais entendu parler ni des œuvres ni des compositeurs que leur proposait Marlon . « Faut voir !… » fut-il conclu.


2 commentaires:

anne des ocreries a dit…

HAHAHAHAHA ! j'adore le "faut voir...." de la fin, cet éternel "faut voir" des ruraux déconcertés, ennemis de la nouveauté, lents à s'essayer à quelque chose qu'ils n'ont jamais frôlé, même en pensée....Hahahahaha ! oh, comme c'est bien dépeint, Pomme !

P a dit…

Du vévu, Anne, du vécu!!

Les Chouchous