Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

jeudi 10 mai 2012

Opéra-fantôme 43

Marlon qui ne savait pas ce que « faut voir ! » signifie dans le Thymerais, continua sur sa lancée. Le concert devait avoir lieu dans une église, de la musique religieuse lui semblait toute indiquée. Pergolèse vint se percher sur son épaule et accrocha fermement son Stabat Mater dans ses cheveux. Il pénétra de là profondément dans l’esprit du musicien, qui prit la route direction Paris où il comptait bien trouver dans les conservatoires où il avait gardé des relations, les artistes dont il avait besoin et pourquoi pas ?  la trace de Soline .
Estournelle, dans sa campagne était seule ; elle avait appris à s’en accommoder, parfois même à y trouver un certain confort. La venue de Marlon dans le voisinage avait un peu modifié ses habitudes et les soirées passées à épiloguer sur le manoir et ses fantômes commençaient  à lui manquer.
Ce matin-là, elle traînait sans conviction dans les allées d’un vide-grenier. Son intérieur ressemblait déjà tant à un grenier qu’il aurait fallu vider, qu’elle souhaitait presque ne rien trouver. Pourtant dans les caisses ici ou là, peut-être un vieux bouquin l’attendait, ou encore un numéro de cet ancien magazine qu’elle collectionnait, espérant y trouver quelque épisode manquant du « Vautour de la Sierra », le roman « d’amour et d’aventures » dont le héros était un bandit laid, vieux et cruel… Les exploits de Don Quebranta la faisaient rêver depuis qu’elle avait dix ans, quand son arrière- grand-mère lui avait offert trois années reliées de ce magazine oublié au grenier. Depuis, elle achetait à n’importe quel prix et sans discuter chaque exemplaire qu’elle pouvait dénicher.
Le butin était maigre ce matin-là, ni bouquin ni quelque autre vieux papier, juste un petit bol à peine ébréché. La voix désagréable à son ouïe de la conseillère chargée de la commission culture lui fit tendre ses deux oreilles tandis qu’elle s’effaçait derrière une armoire à glace qui se dressait , désorientée, sur une pelouse parsemée de caisses de vaisselle et de bric à brac plus ou moins utilisable. Ah ! Marlon allait comprendre la totale portée de ce « Faut voir ! » auquel il n’avait guère prêté attention ! Pourquoi aurait-on songé à le prévenir que les crédits destinés à la réhabilitation de l’église avaient été différés ? La charpente fragilisée, il était hors de question d’y organiser un concert ; on allait même pour un temps, ne plus y dire la messe.
Et ce pauvre garçon est à Paris, pensait Estournelle,  qui se démène pour rassembler des artistes, qui se donne un mal fou pour organiser un évènement, sans aucun budget… Et tel que je le connais,  continuait-elle à ruminer, il va probablement proposer d’en financer une partie ! Depuis ce dernier Noël où elle avait appris que Marlon était sans famille, elle s’était mise à éprouver pour lui une affection que ne justifiait pas de simples rapports de voisinage. Un penchant qu’elle réfrénait pour avoir compris que le musicien se passait aussi bien de mère qu’elle-même se passait d’enfant.
Son problème était que le physique de son voisin lui rappelait une silhouette oubliée et une période de sa vie qu’elle avait enfermée à double tour dans sa mémoire, luttait pour retrouver la liberté. Fallait-il donner un tour de clé supplémentaire ou au contraire libérer des souvenirs qui n’étaient pas tous pénibles ? Et comme elle préférait penser à autre chose, elle rentra chez elle, décrocha la clé des Authieux et retourna éveiller des souvenirs qui n’étaient pas les siens.
Louis avant raconté l’histoire de Lucrèce avec un intérêt que ne justifiait pas un simple passage de quelques semaines dans sa vie. Elle survenait là, entre un amour passé pour une Mariette oublieuse et une union de convenance avec cette Angélique dédaigneuse… Estournelle , impatiente, compulsait les cahiers en désordre sans trouve la suite de l’histoire. C’est au milieu d’un gros soupir de désappointement, que des pages s’éparpillèrent sur le sol. En les ramassant, elle en profita pour les classer ; reconnaissantes, elles lui offrirent une nouvelle histoire…

mercredi 9 mai 2012

Opéra-fantôme42

Lucrèce leva vers lui des yeux inquiets. « Je pourrais vous loger pour un temps dans un endroit que je partage avec des amis, mais…, » Et comme on se jette à l’eau, il lança : « Je suis comédien ! » Lucrèce eut un sursaut ; comédien ! un saltimbanque, un de ces êtres rejetés par l’église… elle ne pouvait vraiment pas… Vraiment pas quoi ? Ses pensées tournaient à toute vitesse ; rejetés par une Eglise qui soutenait l’homme abject qui avait voulu la violer, qui ne lui donnait d’autre alternative que de s’enfermer pour la vie parmi les nonnes ? Et l’envie lui vint de prendre sa revanche : sa famille l’avait contrainte à la rue, elle leur apporterait le déshonneur. Oui, elle allait suivre le comédien ; oui, et si on voulait d’elle, elle ferait partie de la troupe, elle monterait sur scène et sa famille en mourrait de honte !
Et voilà comment changea le destin de Lucrèce… une nouvelle vie pleine d’attraits, de difficultés aussi, mais Lucrèce ne les redoutait pas les difficultés. Elle fut bien accueillie, elle sut se rendre utile, se contenter de ce qu’on lui proposait et puis, Florimond l’aidait beaucoup.
Il y avait bien longtemps qu’il la regardait quand elle venait prier à Saint Gervais ; bien longtemps qu’il se demandait comment l’aborder et puis ce hasard ,cette chance finalement qui l’avait jetée à la rue au moment où lui pouvait l’aider. Ils auraient pu s’aimer, mais le hasard encore lui, fit qu’une étincelle allumée embrasa le théâtre ; de la charpente en bois, des décors de carton, des costumes, il ne resta rien. De Florimond non plus, on ne retrouva rien.
On rassembla de quoi monter un spectacle, on trouva un chariot, un cheval ; Lucrèce suivit la troupe au gré des routes. Ces routes dont une passait par les Authieux.
Voilà ce que contait le journal de Louis…

Estournelle éternua ; ses ongles s’effritaient, ses paupières la brûlaient, sa peau était sèche ; l’effet du vieux papier. Mais pour rien au monde, elle n’aurait abandonné l’entreprise. Quelle histoire ! que d’histoires révélées dans ces vieux cahiers !!! Elle allait en avoir des choses à raconter quand Marlon serait de retour.. Marlon qui semblait pour lors s’intéresser moins au passé de sa maison qu’à l’avenir du village.
Le compositeur, était parisien, artiste et il avait acheté le château : trois bonnes raisons pour que la commune renâcle à l’intégrer. Et puis un jour, il avait participé à une remise de prix, on l’avait vu à la télé ; mieux encore, il avait eu sa photo dans un magazine à ragots qu’on pouvait lire chez le coiffeur. Du coup, le village l’avait reconnu comme une personnalité et on le saluait aimablement.  Aux Authieux soudain, les travaux avançaient. La récente notoriété locale de Marlon motivait l’artisan flatté d’entrer dans la demeure d’un homme dont sa femme avait vu le portrait dans la presse.
L’église venait d’être restaurée ;le conseil municipal vint en délégation pour demander à la « pipeule » communale de les aider à y organiser un concert. Marlon pas rancunier, accepta. Il en oublia pour un temps Soline et les fantômes.
Il allait falloir trouver des musiciens qui acceptent de jouer contre un week-end à la campagne, puisque le budget de la commune ne prévoyait aucune dépense à motivation culturelle. Marlon décida de se rendre à Paris dans l’idée de convaincre des copains sans engagements des bienfaits du grand air. Et d’ inviter d’autres copains à venir les écouter. Les uns engageraient les autres... pour le plus grand bien de tout le monde.
Il commença par passer deux semaines à concocter différents programmes et décida d’en soumettre deux à la commission  des fêtes : un moderne et un plus classique. Il ne se doutait pas du désarroi qu’il allait provoquer ! Rassemblés autour de la longue table de la salle du conseil, les membres de la commission culture hochaient la tête, se raclaient la gorge : ils n’avaient manifestement jamais entendu parler ni des œuvres ni des compositeurs que leur proposait Marlon . « Faut voir !… » fut-il conclu.


mardi 8 mai 2012

Opéra- Fantôme 41


Elle monta dans sa chambre, rassembla dans un sac un peu de linge, quelques bijoux que lui avait laissé sa mère et un peu, oh si peu d’argent. Elle attendit et quand tout fut calme dans la maison, quand elle eut entendu la voiture quitter la cour emmenant les deux époux, elle sortit  par la porte de l’office, dissimulant son sac sous son grand manteau. C’était l’heure où souvent, elle allait à l’office à Saint-Gervais.
Elle aimait cette église aux murs de pierre blonde qui la rendaient plus lumineuse que les autres. En passant devant le porche ouvert sur les jardins du couvent, au fond du corridor sombre, les fleurs du jardin ensoleillée se découpaient sur l’ovale du porche et une branche de prunus en fleurs se balançait doucement en diagonale, rose sur le ciel bleu. Elle ressentit cette douceur comme une caresse amicale du destin, et elle continua vers l’église alors que quelques instants avant, elle se demandait ce qu’elle venait y faire. Le curé ne lui serait d’aucun secours : elle s’était confiée à lui en confession et si, bien entendu, il ne pouvait lui conseiller de céder à son beau-père, il lui prêchait la docilité et lui vantait, dans son cas, les mérites du couvent. Oui, qu’allait-elle chercher dans cette jolie église blonde et paisible ? Pourtant, elle poussa la porte et s’approcha du bénitier ; sa main en rencontra une autre : celle d’un homme qui ne lui offrait pas l’eau bénite pour la première fois. Un grand escogriffe, maigre, aux traits anguleux ; il était loin d’être beau, mais son regard noir était attachant.
Un regard qui venait de se fixer sur son bagage :  « Venez, dit-il à mi-voix, et lui prenant le coude, il la dirigea vers la sortie. Dehors, ils firent quelques pas, franchirent le porche sombre et se retrouvèrent dans le jardin. Un banc au soleil les attendait.
Elle se sentait gênée d’avoir suivi un parfait inconnu et pourtant, elle n’aurait pu faire autrement. L’homme se présenta fort civilement : Florimond d’Estivelle. Lucrèce ne savait trop que lui répondre et lui qui avait remarqué le gros sac posé à ses pieds, la voyant embarrassée se mit à parler théâtre, littérature.  Elle restait silencieuse tandis que lui, faisait questions et réponses. Enfin,  la jeune fille se souvenant  qu’elle était fugitive et ne devait pas trop s’attarder dans les parages, elle prit congé. Florimond lui demanda s’il pouvait l’accompagner ; elle rougit, balbutia et soudain l’évidence lui apparut, elle ne savait où aller. On a beau n’être pas une mauviette, on a beau vouloir rester maîtresse de son destin, on a beau détester se faire plaindre, il est des moments où le courage fait défaut… L’après-midi touchait à sa fin ; elle pourrait se passer de dîner, mais où aller dormir. La nuit est dangereuse au cœur de la ville. Elle eut comme un vertige que le comédien remarqua. : « Auriez-vous besoin d’aide ? Où voulez-vous aller ? Loin de moi l’idée de vous importuner, mais il semble… » Il n’acheva pas : Lucrèce était retombée sur le banc, et laissait des sanglots trop longtemps contenus la secouer. «  Voyons, voyons … que vous arrive-t-il ? Où habitez-vous ? Venez, ne craignez rien, je vous raccompagne… »  Entre deux hoquets, elle eut un rire bref : « Me raccompagner ? Mais où ? » - « Mais… chez vous ! » - « Chez moi ? Mais je n’ai plus de chez moi ; je n’habite plus nulle part ! »
Elle n’avait rien d’une vagabonde ; Florimond reprit : « Je peux peut-être vous aider…racontez-moi… »
Alors, comme la porte qui s’ouvre d’un placard trop chargé, les mots vinrent à Lucrèce et son cœur, son âme, son esprit, si lourds d’angoisses et de chagrins s’ouvrirent pour cet inconnu ; un inconnu plus rassurant que les êtres qui faisaient depuis toujours partie de sa vie.
Quand elle eut tout raconté, le jeune homme resta silencieux un moment. Enfin, il soupira et tout en hésitant, il lui dit : « Je sais où vous seriez en sécurité, au moins pour un temps mais…je crains que ma proposition ne vous agrée pas… »



Les Chouchous