Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

vendredi 25 mars 2011

L'âme des poètes

Si tu pouvais entendre
L'amer laurier-blanc sangloter,
Que ferais-tu, mon amour?
Tu soupirerais.

Si tu voyais la lumière
T'appeler en partant,
Que ferais-tu, mon amour?
Tu songerais à la mer.

Mais si je te disais un jour
"Je t'aime" sous l'olivier,
Que ferais-tu, mon amour?
Tu me poignarderais.

Federico Garcia LORCA

jeudi 24 mars 2011

Où va la jeune hindoue - Mady Mesplé

LE NOMBRE TROIS

Carnaval crotté,
Pâques mouillées,
Coffres comblés.






Bien que le total des habitants de l’Olympe soit douze (certains en dénombrent quatorze), les dieux principaux sont trois, qui se partagent le gouvernement du monde :
ZEUS, maître du ciel et de la terre ; POSEIDON qui règne sur les ondes et HADES qui détient l’empire du monde souterrain.

On trouve chez les Chrétiens la Sainte Trinité : le Père,le Fils et le Saint-Esprit.

Dans les contes, les vœux sont généralement au nombre de trois et les formules magiques, doivent souvent se répéter trois fois pour être efficaces.


mercredi 23 mars 2011

Jean Ferrat - Au printemps de quoi reve tu ?

LA MERCIERE

S’il pleut à la Saint-Benoît,
Il pleuvra 37 jours plus 3.




La mercière-


Entre la luxueuse avenue Montaigne et le prestigieux faubourg Saint-Honoré, tournent autour du rond point des Champs-Elysées  de nombreuses petites rues que l’on parcourt  en voiture, sans vraiment les considérer, avec l’obsession fébrile d’y trouver une place pour stationner.
Il existait naguère dans ces rues méconnues, une foule de petits commerces et artisanats ignorés de ceux qui fréquentent les « grandes maisons », mais bien connus de ceux qui y travaillent.
Ainsi, rue de Ponthieu, dans une échoppe tenant du couloir biscornu plus que du magasin, Madame Jules fumait sa pipe. Etait-ce son nom ou bien un sobriquet que lui avaient valu sa voix de rogomme et son inamovible bouffarde ? Peu importe. Madame Jules était mercière.
Ses clients portaient les plus grands noms de la mode mais on ne les y voyait jamais. Leurs émissaires étaient des gamines nouvellement arrivées de province ou de banlieue, toutes imbues de ce grand nom qu’elles représentaient et qui les intimidait encore. Elles venaient là, envoyées au « réassort » par Mme Agnès, flouteuse chez Dior, Mr Jean, tailleur chez Saint-Laurent ou Mme Nicole, modiste chez Cardin. Avec à la main un échantillon d’étoffe, elles devaient dénicher le fil ou le grosgrain dont la couleur « collerait » exactement. La crainte de l’erreur, souvent paralysait leur choix. Le boyau qui servait d’échoppe à Mme Jules était mal éclairé et la rue de Ponthieu assez peu lumineuse quand on allait « voir au jour ». Les commentaires de la « première », voire de tout l’atelier pouvaient être cinglants en cas d’erreur. Trop d’erreurs accumulées risquaient de chasser la novice loin de ces paradis où elles rêvaient de passer les épingles lors de l’essayage d’une célébrité.
Mais l’œil de Mme Jules derrière ses grosses lunettes et en dépit de la pénombre qui régnait dans son antre, était infaillible. Et si son conseil était peu amène – l’arpette se faisait souvent traiter de gourde ou d’empotée-, il était toujours judicieux.
Au retour dans l’atelier, il était vain pour la gamine d’espérer des éloges ; elle n’avait fait que « son boulot ». On ne félicitait jamais une apprentie ; sa seule récompense était de se voir enfin confier un travail un peu délicat, avec l’angoisse recommencée d’être ou ne pas être à la hauteur du « nom » auquel elle consacrait ses journées.

mercredi 16 mars 2011

 En ce moment au profond des forêts, le chanceux peut, "par aventure, trouver un ede ces magnifiques et impressionnantes ramures de cerf - car c'est la période où ils jettent leur tête comme l'enfançon perd ses dents de lait". Réduit en poudre, ce merveilleux talisman permettra à "l'Amadan" de jouir de merveilleux avantages: il attirera à lui tous les cervidés des bois ainsi que les Blanches Biches, belles comme nulle autre pareille, qui lui permettront d'aller et venir dans le Royaume des fées, où il connaîtra des amours ineffables.

Pierre DUBOIS - Elficologue





dimanche 13 mars 2011

On connaît la chanson

En Mars l’ève
Fait monter la sève



L’Amour de Moy


L’amour de moy s’y est enclose
Dedans un joli jardinet
Où croît la rose et le muguet
Et aussi fait la passerose

Ce jardin est bel et plaisant
Il est garni de toutes flours
On y prend son ébattement
Autant la nuit comme le jour.

Hélas il n’est si douce chose
Que ce doux rossignolet
Qui chante au soir au matinet ;
Quand il est las il se repose.

Je la vis l’autre jour cueillir
La violette en un vert pré ;
La plus belle qu’oncques je vis
Et la plus plaisante à mon gré.

Je la regardai une pose
Elle était blanche comme lait
Et douce comme un agnelet
Et vermeillette comme rose.



mercredi 9 mars 2011

Françoise Hardy- Suzanne

Quelle histoire!

A la Saint-Grégoire,
Taille la vigne pour boire







LES TEMPLIERS


Mars 1314… L’hiver n’est pas fini..
Un feu d’enfer crépite dans l’immense cheminée à hotte. Quatre corps nus s’enlacent perdus dans des fourrures ; les lits de ce temps sont vastes. Des tentures recouvrent les murs suintants d’humidité ; on étouffe dans cette chambre aménagée dans une ancienne tour de guet. Un des jeunes gens va ouvrir le verre dépoli qui obture la meurtrière.
Tout près, dans l’Ile aux Juifs, au pied de Notre-Dame, un brasier diabolique crépite ; l’odeur répugnante de la chair brûlée s’insinue par l’ouverture, domine celle des sachets de poudre parfumée et des herbes odorantes qui jonchent le sol. Le délire bruyant de la foule excitée, les hurlements déchirants des suppliciés couvrent les plaintes d’amour qui sortent de la couche.
Une voix puissante, terrifiante, une voix qu’on n’attendait plus, tonne ; la foule se tait ; les amants se dressent et s’immobilisent, toute idée de plaisir ou de volupté évanouie.
Jacques de Molay, Grand Maître des Templiers, avant d’être réduit en cendres a trouvé la force de maudire le pape, le roi Philippe, ses tortionnaires ; ils ne verront pas la fin de l’année.
Dans le tour de Nesle, les brus du roi et leurs amants l’entendent ; aucun d’entre eux ne reverra le printemps


mardi 8 mars 2011

Mots d'auteurs


Je hais les pleurards, les rêveurs à nacelles,
Les amants de la nuit, des lacs, des cascatelles....

MUSSET

Serge Gainsbourg - Couleur café

LA SOUPE AU CAILLOU

Taille tôt, taille tard,
Mais taille en Mars.






LA SOUPE AU CAILLOU


On ne sait plus quand, on ne sait plus où, après un hiver plus que rigoureux, Mars n’en finissait pas de ramener un printemps tardif. Depuis la Noël jusqu’à Mardi-Gras un pauvre soleil ne se montrait guère. Arriva un jour de Carême prenant, où le vent soufflait et tombait la pluie sur le sol gelé. Personne au dehors. Dans les maisons closes, près des cheminées on restait serrés. Le jeûne arrivant ne changerait pas beaucoup de celui auquel il avait fallu durant tout l’hiver forcer bêtes et gens. C’était une année de maigres récoltes, de tristes vendanges. Plus rien dans les huches ni dans les celliers et dans les étables, paille et foin manquaient. C’était un village dans la saison grise ; grise était l’humeur de ses habitants.

Barbu et crotté, sac sur le dos, bâton à la main, vint un voyageur. Le sac était gros et faisait des bosses. Près de la fontaine  l’étranger s’arrête, pose son barda, en sort un violon, commence à jouer.
Aux premières mesures, devant lui se dresse Monsieur le Bedeau, grognon personnage qui réglementait de son propre chef, entre deux offices, la vie du village. Il lui intima de filer bien vite. Cette fois encore, le porte-parole de la mesquinerie, de tout l’égoïsme de ces paroissiens, ce fut le bedeau :
. -« Nous n’avons plus rien ! Rien à partager avec un mendiant ! Passe ton chemin !»-
-« Je ne mendie pas, mais la route est longue, lui dit l’étranger. Il me faut dormir… Puis-je m’abriter dessous cette halle, avoir un peu d’eau de votre fontaine, deux ou trois cailloux de votre chemin ?»-
Quelques borborygmes du grognon bedeau furent la réponse :
-« Refuser de l’eau ? On n’est pas sauvages… dormez sous la halle et demain matin, qu’on ne vous voie plus…. Et… mais, dites-moi… pourquoi les cailloux ? »
-« Juste pour ma soupe, dit le voyageur ! »

Et il s’installa, sortit de son sac un vaste chaudron, le remplit d’eau claire, alluma un feu et dans la marmite, jeta les cailloux. Avec son bâton, remua le tout, goûta au brouet, se frotta les mains et prit son violon.
Entre deux chansons, il touillait sa soupe, humait la vapeur qui s’en dégageait, puis hochait la tête, rajoutait de l’eau et recommençait.
Derrière les fenêtres, on s’interrogeait… L’étranger cuisine… C’est qu’il a trouvé quelque chose à cuire…. De quoi s’agit-il ?
La  mère Labouture,  doyenne du village et la plus curieuse, sortit la première, s’approcha du feu :
-« Que cuisinez-vous dans votre marmite ? »-
-« Un plat de chez nous ! Le seul qui convienne en temps de disette ! »-
-« Et quoi donc que c’est ? »-
-« La soupe aux cailloux ! »-
-« La soupe aux cailloux. Comment  vous faites ça ? »
-« Oh, mais c’est très simple… On prend sur la route quelques beaux cailloux ;  on les fait  bouillir dans de l’eau bien pure…Mais comme c’est dommage… j’en aurai bien trop,  juste pour moi seul,  je ne vais quand même pas jeter le reste ! »-
La vieille Labouture était affamée, ses deux yeux brillants fixaient  la marmite. L’étranger sourit :
-« Si vous en voulez, prenez  une écuelle.»
Il trempa une cuiller dans le chaudron, goûta…
-« Dommage…ça manque de sel…  Mais, bon, j’en ai pas… »-
-« Puisque vous m’offrez de votre soupe, je peux bien vous donner du sel ; attendez-moi, je vous en rapporte. »-
Et la mère Labouture de trotter jusque chez elle, pour revenir avec une écuelle,  le pot à sel et quelques grains de poivre…
Mais on l’avait vue !§§§§

Benoît Morvonnais, mauvais galopin, et le benjamin de toute une tribu d’affreux garnements très mal embouchés, toujours à l’affût de vilaines farces et de chapardages surveillait la place. En cette fin d’hiver son estomac creux gargouillait beaucoup et rendait ses yeux, son nez, ses oreilles particulièrement sensibles et fins.
Dans le grand chaudron l’étranger fait cuire il ne sait trop quoi ; la vieille Labouture, promène une écuelle….Benoît Morvonnais veut avoir sa part, traverse la place,  s’approche, renifle…
-« Dites,  les deux vieux, qu’est-ce que vous touillez?  Elle sent rien vot’soupe…»-
-« Sois poli, morveux, et file d’ici, on n’a rien pour toi ! », grinça Labouture.
-« Mais bien sûr que si, sourit l’étranger, comme je vous ai dit,  y’en a pour tout l’ monde ! Seulement c’est vrai, ça  sent pas grand chose… Faudrait un oignon ! »-
-« Un oignon, j’ai ça ! Si j’en rapporte un, j’ aurai de la soupe ? »-
-« Oui, bien entendu ! »-
Le gamin fila et revint bien vite avec un oignon, du thym,  du laurier, des clous de girofle. Sa mère ne les chercherait pas avant longtemps vu qu’elle n’aurait pas de sitôt de quoi faire un pot au feu !
L’étranger les jette le tout dans la marmite avec les cailloux et Benoît, avide, muni d’un grand bol,  s’approche du feu :
-« Un peu de patience, il faut que ça cuise ! Danse en attendant »-  Il prend son violon et joue quelques valses.

Le père Dugreffon, du temps qu’ils étaient jeunes et fringants avait fréquenté la fille Labouture . Pour une histoire bête, ils avaient rompu. On avait parlé de ci et de ça, d’autre chose encore, mais au fond personne n’avait jamais su l’objet du conflit et les vieux eux-mêmes depuis tout ce temps l’avaient oublié. Mais toujours est-il qu’ils ne s’adressaient  plus une parole… Pourtant ils guettaient et n’ignoraient rien des faits et des gestes que chacun faisait.
Que de  souvenirs dans ces airs de valses ! Dugreffon poussa  la petite porte de son jardin et mine de rien,  d’un air affairé traversa la place. Il prit l’air surpris, approcha de la marmite
Justement, l’étranger goûtait en disant à voix haute :
-« Ca ira ! Mais,  tout de même… si j’avais une ou deux carottes et un vert de poireau… »-
-« D’la légume ? J’en ai pt’êt’ ben cor’ un peu ! »- marmonna le vieux qui fit demi-tour et revint bientôt avec un panier plein de beaux légumes, que l’étranger ajouta à sa soupe. Le jeune Morvonnais s’était emparé de la grande cuiller et touillait la soupe au caillou de tout son cœur, voisin de son estomac affamé. Les pieds de la mère Labouture battaient la mesure et les moustaches de Dugreffon tremblaient en cadence.

-« Que se passe-t-il, mes amis ? »-
 Mademoiselle Herminie de Bézendouce, la nièce du curé tentait de faire oublier dans l’amidonnage impeccable des surplis de son oncle et dans la confection de bouquets pour l’autel, les égarements d’une jeunesse follette. Attirée par la musique et aussi par le fumet naissant de la soupe aux cailloux, elle venait aux renseignements.
-« C’est l’étranger, mam’zelle… Il fait la soupe pour tout le monde ! »-, l’informa Benoît.
-« De la soupe ! Mais avec quoi mon dieu ! Nous n’avons plus rien ! »-
-« Mais je n’ai besoin de rien, sourit le grand musicien. Il y a déjà plus qu’il ne faut ! Quoique… »-
-« Quoi donc ? »
-« Une petite couenne de lard pour donner du goût… Mais ce n’est pas indispensable… »-
-« Attendez ! »-
Mademoiselle Herminie trotta jusqu’au presbytère et revint avec un gros morceau de lard qui avait résisté à l’hiver.
-« De toutes façons, dit-elle en le jetant dans la marmite, demain c’est Carême et d’ici Pâques, il pourrait s’abîmer à moins que les souris ne s’en occupent ! »-
Cette fois la soupe au caillou commençait à sentir fameusement bon et le bruit courait dans le village famélique que le grand étranger là-bas qui jouait du violon, avait une recette de soupe qui allait nourrir tout le monde et que du coup, un tel et un tel,  qui avait donné ci, qui avait donné ça…..
-« Et si on a rien à donner, tu crois qu’on en aura quand même ?»-
Alors chacun cherchait au fond des coffres et des placards ; le moindre petit reste fut apporté pour ajouter à la marmite. Une ou deux vieilles poules qui avaient eu le tort d’oublier de pondre, allèrent rejoindre le bouillon ; le meunier apporta de la farine ; les fermières, des œufs, du beurre, de la crème. Ceux qui n’avaient rien prêtèrent de la vaisselle et des ustensiles.
Des beignets se mirent à frire pour accompagner la soupe et monsieur le curé envoya chercher dans sa cave quelques bouteilles qui ne servaient pas à la messe.
On dressa des tables, on y mit des nappes ; chacun apporta son bol et son couteau. Il y eut du bouillon, du lard, des saucisses, de la poule, du bœuf, de l’omelette au lard, du pain croustillant, du biscuit, des tartes, des oeufs à la neige et même de café. Les hommes pour finir firent goûter la gnôle et tous les enfants eurent des canards.
Le violon chanta, les sabots dansèrent. Le jour se levait quand le ventre plein, les mollets fourbus et le cœur heureux, on alla coucher. Et le lendemain, chaque ménagère nota dans son livre comment on prépare, quand l’hiver est long, la soupe au caillou.
Et me direz-vous, où donc est allé le grand voyageur ?.... Cherchez Herminie !

samedi 5 mars 2011

L'âme des poètes



Le merle qui a bien hiverné,
En mars a sa nichée



L'oiseau bleu


J'ai dans mon coeur un oiseau bleu,
Une charmante créature,
Si mignonne que sa ceinture
N'a pas l'épaisseur d'un cheveu.


Il lui faut du sang pour pâture
Bien longtemps je me fis un jeu
De lui donner sa nourriture:
Les petits oiseaux mangent peu.


Mais, sans rien en laisser paraître,
Dans mon coeur il a fait, le traître,
Un trou large comme la main.


Et son bec fin comme une lame,
En continuant son chemin,
M'est entré jusqu'au fond de l'âme!...


Alphonse DAUDET


jeudi 3 mars 2011

Junior

Quand Mars se déguise en été,
Avril prend ses habits fourrés.



Junior


Junior- on l’appelait Junior parce qu’il portait le même prénom que son père- Junior donc, habitait près d’un ancien aéroport militaire désaffecté. De ce fait, il se croyait aux premières loges pour voir atterrir des extra-terrestres le jour où certains se décideraient à visiter la terre..
Junior avait su lire très tôt ; il n’avait pas douze ans quand il découvrit la science-fiction. Il voyagea dans le temps, dans l’espace ; fréquenta robots, androïdes et extra-terrestres. Il ne disait pas les Martiens ; il savait bien que jamais Mars n’avait été habitée, n’était pas habitable. Il avait du bon sens, Junior ; on ne lui faisait pas croire n’importe quoi. Pourtant il le savait, il existait d’autres galaxies, d’autres planètes dont on ignorait encore le nom . Et dans une de ces planètes dont il ne savait pas le nom, il y avait peut-être un autre Junior qui pourrait être son ami. Car il voulait un ami, Junior !
Oh, il avait des copains, mais il était si différent d’eux ; le foot, la chasse, les filles , la télé, l’ordinateur, rien de tout cela ne l’attirait vraiment. Il préférait s’isoler avec un bouquin. Ses copains lisaient peu ; on pourrait dire pas du tout. L’instituteur les obligeait à monter une fois par semaine à la bibliothèque ; ils choisissaient un livre, n’importe lequel, le plus mince possible, avec peu de texte et beaucoup d’images. Ils le rendaient au plus vite, quand ils ne l’égaraient pas. Alors Junior n’avait personne avec qui partager ses émotions, ses pensées, personne avec qui spéculer sur les probabilités d’autres mondes habités. Les gamins se moquaient de lui ; ils le méprisaient un peu puisqu’ils ne le comprenaient pas et Junior en souffrait.  Ce surdoué était pris le plus souvent pour un crétin. Il fallait être crétin pour rester des heures à rêvasser dehors en contemplant le vieil aérodrome sur lequel il n’y avait rien à voir sauf des hangars rouillés ; il aurait mieux fait de jouer au foot avec les autres ! Seul un crétin pouvait préférer de vieux livres poussiéreux à la télé ou aux ordinateurs. Junior ne parlait pas leur langage ; Junior n’avait pas d’amis.
A la maison ce n’était guère mieux ; le père dont il portait le nom était parti depuis longtemps et il ne manquait à personne. Sa mère pour gagner leur vie travaillait jour et nuit. Et quand elle avait un peu de temps libre elle était trop fatiguée pour lui parler d’autre chose que de ses résultats scolaires ou de ses corvées du lendemain. Il ne voyait pas d’issue à cette vie morose…
La solitude a quelques fois du bon. Qui aurait pu savoir que Junior dans le grenier construisait des appareils radio et qu’il envoyait des messages à travers l’espace. Dans la décharge voisine, il trouvait de vieux postes de télé, des appareils de radio cassés tout un tas de trucs et de machins passionnants qu’il bricolait. Il s’était abonné à des revues scientifiques, il empruntait des manuels spécialisés et quand le temps s’y prêtait, il envoyait des messages. Il se disait qu’aussi proche d’une base militaire bien équipée en radars dont il savait qu’on vérifiait régulièrement le fonctionnement, il se trouvait à l’endroit idéal pour émettre avec des chances d’être capté. La teneur des messages était toujours à peu près semblable :
« Venez, venez me voir ; je n’aurai pas peur de vous ; et vous, n’ayez crainte : l’endroit est désert, vous ne serez pas repérés. »
Il n’obtenait bien évidemment jamais de réponse et comme il se sentait de plus en plus seul, les messages devinrent :
« Venez me chercher ; je veux aller chez vous, je veux connaître votre pays. Je ne peux pas venir, mais vous, s’il vous plaît, venez me chercher. »
Les saisons passaient, les années passaient, jamais Junior ne recevait de réponse. Il grandissait ; on disait autour de lui qu’il serait temps qu’il mûrisse, qu’il lui fallait devenir un homme, gagner sa vie. Et au fait, que voulait-il faire plus tard ?
Ils en ont de bonnes pensait-il sans répondre… Devenir un homme… prendre un métier… Les grands, qui sortent du lycée avec leur bac, qu’est-ce qu’ils ont comme métier ? Rien !chômeur, c’est tout. Cette année, Junior entrait au collège ; il aurait moins de temps pour aller rôder autour des pistes et des hangars, presque plus pour envoyer des messages. La rentrée serait sinistre.
Le soir du 14 Juillet, il suivit d’autres garçons qui allaient voir le feu d’artifice. Il aimait bien les feux d’artifice ; à chaque fusée, à chaque bouquet, il croyait voir atterrir et décoller des vaisseaux interstellaires. Le bourg se trouvait à huit kilomètres de son hameau ; il sema ses copains qui ne le cherchèrent pas et rentra chez lui à pied. Il faisait beau, la nuit était sans lune ; il devait longer la clôture de la base sur plusieurs kilomètres avant de rentrer chez lui. Combien de fois lui avait-on dit qu’il était dangereux pour un jeune garçon de traîner seul si tard ? Il n’avait pas peur. Que pouvait-il lui arriver à lui qui n’intéressait personne ? Lui si insignifiant qu’il n’avait pas un ami, lui que son père délaissait, lui dont sa mère n’écoutait jamais ce qu’elle nommait des sornettes ? S’il lui arrivait quelque chose, à qui manquerait-il ?
Un feu d’artifice se tirait sur la base. Ca, c’était étonnant puisqu’il n’y avait personne là-dessus, sauf un gardien peu liant et plutôt rébarbatif. Le plus curieux était que ce feu d’artifice, au lieu de pétarader, émettait une étrange musique. Junior allongea le pas pour mieux voir. Il approcha ; les fusées ne partaient pas de la manière habituelle : on aurait dit plutôt une couronne de lumière qui approchait lentement du sol. La musique devenait plus distincte ; ce n’était rien qu’il connût. Enfin, il ne connaissait pas grand- chose en musique, mais tout de même ces sons ne ressemblaient à rien qu’il eut déjà entendu. On aurait dit que tout se passait à l’intérieur de sa tête. Les lumières couvraient maintenant une large surface. Junior connaissait par là une brèche dans la clôture. Il l’avait découverte en cueillant des mûres ; le roncier la recouvrait, c’est pourquoi personne ne l’avait remarquée ni réparée. Junior, insoucieux des épines se glissa derrière les barbelés. Il avançait prudemment, craignant de déclencher une alarme. Rien ne bougea, sauf une des lumières qui s’avançait vers lui. Il alla à sa rencontre et s’en trouva enveloppé. Il se sentait bien, heureux,  et n’éprouva aucune crainte quand il réalisa se qui se passait : il n’assistait pas à un feu d’artifice. Quelque chose était en train d’atterrir ; Junior avançait dans la lumière tiède et douce comme une caresse.
« Enfin, pensait-il, ils sont venus ! Qui sont-ils ? »
Là, il eut un peu d’angoisse ; les descriptions d’extra-terrestres sont infiniment variées ; leur apparence va de la plus grande séduction à la pire des horreurs. Qu’allait-il découvrir ?
« Bon, se dit-il, je les ai fait venir ; ce n’est pas le moment de reculer. »
Lui qui se croyait si peu de chose, ne se posait cette fois aucune question : les visiteurs venaient pour lui, ils répondaient à ses messages.
La lumière le recouvrait, l’attirait toujours plus près du centre de la couronne. Il ne distinguait aucun véhicule, aucun objet solide. Soudain, il fut immobilisé, doucement mais fermement. La musique dans sa tête devint une voix ; il ne distinguait pas de paroles, mais une pensée pénétrait la sienne qui disait à peu près ceci :
« Junior, nous voici ! »
Il n’essaya pas de parler ; il se contenta de penser à son tour ; à son attente, à la crainte qu’il avait eu de ne jamais obtenir de réponse.
« Nous avons reçu tes messages depuis longtemps ; mais ce n’est pas facile d’aborder cette planète. Nous ne sommes pas des touristes, mais une expédition scientifique. Nous sommes chargés de ramener des spécimens d ‘êtres vivants. Si tu viens avec nous il ne te sera fait aucun mal mais il se peut que tu ne puisses plus revenir ici.  Nous ne voulons pas te forcer à nous suivre mais si tu choisis de rester, tu n’auras aucun souvenir de cette rencontre, car nous ne devons prendre aucun risque. »
Junior était bouleversé ; il devait prendre sa décision et vite. Il ne reviendrait probablement jamais… Que laissait-il derrière lui ? Personne ! Il n’avait pas d’amis, pour ainsi dire pas de père. Quand à sa mère…. Elle allait s’inquiéter, mais aussi, elle aurait moins de travail s’il n’était plus à sa charge ; il tâcherait de la contacter pour la rassurer.
La voix dans sa tête disait qu’il y avait place pour lui dans l’autre planète, alors sans plus réfléchir, il pensa « oui », avança d’un pas et la base fut déserte sous la nuit sans lune.
Les gendarmes ne retrouvèrent rien de lui, pas un vêtement abandonné, aucune trace de sang ni de lutte. On envoya son signalement dans toute la France et à l’étranger ; on inquiéta des sectes, on suspecta des gens basanés…
Quelques mois passèrent ; sa mère, la nuit fut plusieurs fois réveillée par des lumières. Elle s’en plaignit aux gendarmes qui ne purent les faire cesser. Alors elle fit poser à l’extérieur de lourds volets et à l’intérieur, habilla ses fenêtres de rideaux épais et sombres…

Les Chouchous