Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

lundi 21 février 2011


Gabrielle Sidonie Colette, née en Bourgogne en 1873 a commencé sa carrièrd’écrivain par le succès scandaleux de la série des « Claudine » que signa son mari l’éditeur , journaliste et écrivain, Willy, nom de plume d’Henri Gauthier-Villars.
Après son divorce, Colette se produira sur scène ; période qu’elle décrira dans « L’envers du Music-Hall ».
Remariée à Henri de Jouvenel directeur du « Matin », elle écrit des chroniques d emode et de spectacle tout en continuant son œuvre de romancière.
Amie des bêtes et de la nature , elle les fera parler avec émotion.
C’est avec Maurice Goudeket, qu’elle finira sa vie, clouée dans son fauteuil par les rhumatismes en 1954, dans son appartement du Palais –Royal.

Le Chant du Rossignol


Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades, dans l’aube grise et bleue, et leur éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’envers des feuilles de lilas.
Il se couchait sur le coup de sept heures, sept heures et demie, n’importe où, souvent dans les vignes en fleur qui sentent le réséda, et ne faisait qu’un somme jusqu’au lendemain.
Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes…
Il crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient.
Dès la nuit suivante, il chanta pour se tenir éveillé :

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse,
Je ne dormirai plus !
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Il varia son thème, l’enguirlanda de vocalises, s’éprit de sa voix, devint ce chanteur éperdu, enivré et haletant, qu’on écoute avec le désir insupportable de le voir chanter.
J’ai vu chanter un rossignol sous la lune, un rossignol libre et qui ne se savait pas épié. Il s’interrompt parfois, le col penché, comme pour écouter en lui le prolongement d’une note éteinte…
Puis il reprend de toute sa force, gonflé, la gorge renversée, avec un air d’amoureux désespoir. Il chante pour chanter, il chante de si belles choses qu’il ne sait plus ce qu’elles veulent dire. Mais moi, j’entends encore, à travers les notes d’or, les sons de flûte grave, les trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux, j’entends encore le premier chant naïf et effrayé du rossignol pris aux vrilles de la vigne :

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

 Cassantes, tenaces, les vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais j’ai rompu, d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières j’ai craint les vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a révélé ma voix.
Toute seule, éveillée dans la nuit, je regarde à présent monter devant moi l’astre voluptueux et morose… Pour me défendre de retomber dans l’heureux sommeil, dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue, j’écoute le son de ma voix. Parfois, je crie fiévreusement ce qu’on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas, - puis ma voix languit jusqu’au murmure parce que je n’ose poursuivre…
Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri, qui s’exaltait, redescend au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir…
Je ne connais plus le somme heureux, mais je ne crains plus les vrilles de la vigne.

COLETTE

 






1 commentaire:

croukougnouche a dit…

comme j'aime Colette!
le rossignol ne chante pas encore chez nous.. pas encore assez doux ..et la vigne n'a pas commencé à dérouler ses tentacules..

Les Chouchous