Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

jeudi 30 septembre 2010

Princesse Rosette (9)

Elle n’eut que le temps de s’aplatir sur le sol : le dragon gueule ouverte, langue fourchue dardée, lançait, un puissant jet de flammes, une âcre odeur de brûlé masquait celle tout aussi nauséabonde du dragon ; on entendait craquer des brindilles et siffler les serpents. Puis, plus rien, le silence. Un silence inquiétant bientôt troublé par une sorte de grognement. Un étrange grognement articulé ; Rosette croyait distinguer des mots. Elle leva la tête et non, elle ne rêvait pas, le dragon parlait. C’était un brave dragon du nom de Kipufor qui s’ennuyait, solitaire, entre son étang et la grotte où se trouvait un trésor qu’on lui avait donné à garder. Sa peur envolée, Rosette retrouva sa curiosité naturelle :
- Un trésor ? mais à qui appartient-il questionna la princesse.
-Il y a si longtemps…. J’ai Rédigeroublié… on a déposé une malle dans la grotte et depuis, personne n’est revenu.
-Et cette malle , que contient-elle ?
-Je n’en sais rien !
-Vous n’avez jamais pensé à l’ouvrir ?
Ce manque de curiosité était inconcevable pour Rosette ;
-Vite, allons voir…
Les dragons, quand ils ne dévorent pas les princesses, se mettent à leur service ; leur nature est ainsi faite. Subjugué, Kipufor, trop gros pour entrer dans la grotte, laissa passer Rosette. Son cou était si long que sa tête pouvait la suivre.
La malle était si vermoulue qu’elle parvint sans peine à l’ouvrir . Dedans, pas de trésor ; ni or, ni perles ni pierres précieuses, mais une paire de bottes, un habit de garçon vert, semblable à celui du lutin et un grand sac de blé.
Ce sac de blé, la fit rêver : depuis cinq jours elle vivait de nourritures de fortune et l’odeur du blé lui fit souvenir de celle du pain, d’un pain frais, croustillant. Elle secoua la tête poussa un gros soupir et s’en fut ramasser des framboise et des fraises sauvages qui poussaient alentour. Pendant sa cueillette, un idée lui vint : elle était au bord d’un étang, elle avait donc de l’eau et le dragon crachait du feu. L’idée à peine venue était réalisée : entre deux pierres elle écrasa les grains de blé, ajouta de l’eau , pétrit le tout. Elle eut bientôt en main une pâte sur laquelle elle fit souffler Kipufor. Le dragon, qui n’avait jamais goûté de pain frais ni senti son odeur en fut émerveillé et sa dévotion à Rosette en augmenta d’autant.
Rassasiée, fatiguée, Rosette se blottit dans sa houppelande et s’endormit devant le feu allumé à l’entrée de la grotte.

mercredi 29 septembre 2010

Princesse Rosette (8)

Le chemin qui menait au cinquième mont était moins tortueux et plus doux que les précédents. Mais la voyageuse ne tarda pas à regretter le précédentes épreuves : ce joli chemin sablonneux qui menait en pente douce vers le sommet,  était jalonné de serpents qui se chauffaient au soleil. Rosette craignait beaucoup les serpents. Heureusement, les bottines d’écorce lui montaient jusqu’aux genoux ; elle se souvint des enseignements du Roi son Père. Les serpents, lui avait-il expliqué, sont craintifs ; ils ont bien plus peur que toi. Mais ils dorment profondément ; si tu les réveilles, effrayés, ils deviennent dangereux. Regarde devant toi et ne leur marche pas sur la queue ; agite une branche au ras du sol, ils se sauveront. Rosette comprit pourquoi le lutin lui avait donné la canne et c’est ainsi qu’elle arriva sans encombre au sommet du cinquième mont. Comme elle en avait désormais l’habitude, avant d’entamer la descente, elle regarda au fond du vallon : elle y vit une grotte au bord d’un étang. Tout semblait paisible ; elle allait pouvoir dormir au sec. En économisant les fromages et les pommes que lui avait données le lutin, elle se dit qu’elle pourrait aller jusqu’au bout de sa quête sans trop de peine.
Des taillis, des buissons lui masquaient l’étang et la grotte mais il n’y avait qu’un seul chemin ; elle ne risquait pas de se perdre. C’est en arrivant près de l’étang qu’elle crut mourir de frayeur. Plus elle approchait du but, plus une odeur pestilentielle empoisonnait l’atmosphère. Elle se demandait ce qui pouvait bien sentir aussi mauvais et aussi pourquoi si elle pouvait dormir au sec, il fallait que ce soit dans la puanteur. D’étranges morceaux de corne étaient éparpillés sur le sol
L’eau de l’étang s’agitait de façon étrange ; elle s’imagina qu’un rocher était en train d’émerger : un énorme rocher gris verdâtre et luisant. Mais le rocher bougeait ; le rocher avait des yeux ; des yeux à demi voilés par des paupières écailleuses ; et le rocher sentait mauvais ; c’était lui qui dégageait l’horrible fumet dont Rosette avait le cœur soulevé. Et le rocher sortait de l’étang, dégoulinant de boue et d’eau saumâtre ; d’ailleurs, il fallait de rendre à l’évidence, le rocher était un dragon. Un dragon qui se dirigeait vers la jeune princesse, les yeux luisants lui semblait-il, de férocité ; aussi fit-elle précipitamment demi-tour. Elle s’arrêta affolée : derrière elle il y avait les serpents.

dimanche 26 septembre 2010

Princesse Rosette (7)

Le lendemain matin, les cendres étaient froides. Rosette avant de repartir vers le quatrième mont qui se dressait dans le soleil levant, avec des feuilles de rhubarbe et des lianes de clématite qui poussaient là, se fabriqua des bottines.
Et la voilà repartie ! Ce qui lui reste de linge lui tient à peine au corps. Le chemin en lacets est bien étroit qui borde un précipice ; chaque pas lui donne le vertige. Combien de fois dût-elle se rattraper à la paroi rocheuse, pour éviter de tomber dans le ravin ? Il arriva même que trébuchant sur une pierre, il lui fallût rester suspendue dans le vide, rassemblant ses forces pour se hisser à nouveau sur le chemin. Elle pensait au roi son père, elle pensait au jardin dévasté et elle retrouvait le courage dont elle avait besoin pour continuer.
Arrivée au sommet, elle suivit des yeux un torrent qui bondissait de roche en roche jusqu’au fond du vallon. Il fallait redescendre et le chemin qui longeait le torrent n’était pas moins rude que celui qu’elle venait de grimper. Les feuilles de rhubarbe étaient depuis longtemps restées accrochées aux cailloux. La rive du torrent était trop escarpée pour qu’elle puisse y tremper ses pauvres pieds. Elle soupira bien fort et entreprit la descente.
Tout en bas, le raidillon formait un coude autour d’un gros rocher qui lui masquait le paysage. En le contournant, Rosette poussa un cri : un ours, énorme, tout noir, dressé sur ses pattes arrières lui barrait le passage. Pétrifiée de frayeur, elle ne savait que faire, quand un lutin tout de vert vêtu, sortit d’entre les pattes de l’ours et la salua joyeusement. Sans lui demander qui elle était ni ce qu’elle faisait toute seule dans cette région désolée, il lui alluma un feu, lui donna quelques pommes à manger et lui fit boire, à une gourde qu’il portait au côté, un breuvage fort amer mais qui fit oublier à Rosette douleur et fatigue.
Tel un écureuil, le lutin grimpa dans un arbre où il avait sa cabane bâtie dans les branches ; il en ramena un mortier, puis il s’en fut cueillir certaines plantes. Avec de la boue ramassée au bord de la cascade et du miel qu’avait apporté l’ours, il fit un emplâtre dont il enduisit les pieds blessés de la princesse.
Tout en vaquant, il chantonnait racontait mille histoires amusantes sur les plantes et les oiseaux. Rosette apaisée, s’endormit près du feu, le dos calé contre l’ours roulé en boule.
Le chant des merles la réveilla. Un instant elle s’imagina dans le jardin paternel, mais quelques fourmis explorant son visage la rendirent à la triste réalité : elle avait dormi dans l’herbe, à la belle étoile. Elle n’avait plus pour se vêtir que quelques haillons qui la couvraient à peine, ses pieds étaient toujours endoloris et il lui restait encore trois monts à gravir avant de trouver, peut-être, son grand-père. L’ours avait disparu. En levant les yeux, elle vit le lutin vert qui dégringolait vers elle de branche en branche.
Après l’avoir saluée, il siffla et Rosette vit accourir une petite chèvre blanche. Le lutin lui prit un peu de lait qu’il offrit à sa visiteuse avec quelques fromages qu’il tira de sous une pierre. Réconfortée, la princesse alla se rafraîchir au torrent qui en arrivant dans le vallon se calmait pour devenir un paisible ruisseau ; l’eau était douce. Pendant ce temps, le lutin avait préparé des écorces de chêne ; avec du lierre, il en fit pour Rosette des bottines. Il lui donna aussi une houppelande en laine douce et une canne de bois sculptée de curieuses figurines. « Tu en auras besoin », affirma-t-il à sa visiteuse étonnée.
Réconfortée, Rosette lui fit ses adieux et reprit sa route.

Princesse Rosette (6)

De chaleur et d’insolation, elle manqua périr sur le chemin pierreux qu’aucun arbre n’ombrageait. Cent fois elle fut sur le point de renoncer et d’appeler sa marraine au secours ; mais alors elle pensait au domaine de son père, dévasté par sa faute et courageusement, mettait un pied devant l’autre ; s’aidant de ses mains, cassant ses ongles, elle escaladait les rochers.
Au fond du troisième vallon, qu’elle aperçut du sommet, chantait une fontaine. Ni cerf ni renard en vue ; seul, un grand corbeau noir volant en cercles concentriques semblait lui désigner le point où elle devait se rendre. Le chemin pour descendre était en pente douce et du sable avait remplacé les cailloux. Heureusement pour Rosette ! Ses pieds étaient entamés jusqu’à l’os. L’eau de la fontaine calma ses douleurs ; elle but un peu puis se rendit à l’endroit au-dessus duquel tournoyait le corbeau. Un lapin était étranglé dans un collet. Quand elle leva la tête, le corbeau avait disparu. La nuit tombait, elle avait faim, elle avait froid. Elle n’avait pas la moindre idée de la manière de faire du feu et l’idée d’avoir à dépouiller le petit animal et le manger cru lui donnait des hauts le cœur. En bordure d’un bosquet, quelques châtaigniers laissaient tomber leurs bogues. Elle en remplissait son jupon quand, levant la tête, elle cria de frayeur et s’enfuit précipitamment : juste devant elle un sanglier suivi d’un homme hirsute et vêtu de peaux de bêtes sortait juste de l’ombre d’un bosquet.
Rosette se prit le pied dans une racine et tomba de tout son long au milieu des châtaignes qui s’échappaient de ses cottes. L’homme et la bête la regardaient en grognant. Sans plus s’occuper d’elle, l’étrange créature s’empara du lapin, rassembla des brindilles et de la mousse, sortit de ses peaux deux pierres qu’il frotta. Une étincelle enflamma le bois sec qui se mit à crépiter. En un tournemain, il avait dépouillé le lapin, l’avait enfilé sur une baguette et le présentait à la flamme.
La pauvre princesse, plus morte que vive n’osait pas bouger. Sa faim se ravivait à l’odeur de la viande grillée. Le sauvage, grogna quelques borborygmes et lui fit signe de s’approcher. Elle s’assit craintivement à côté de lui. Il fouilla de nouveau dans les poils qui le couvraient et en ramena une flûte de roseaux dont il tira des sons étrangement mélodieux. Le sanglier, du groin, labourait tout autour cherchant sa pitance. Quand il estima cuit son rôti, l’homme hirsute, posa la flûte, fit glisser la baguette, empoigna le lapin à deux mains, et tordant et déchirant, en fit deux parts et en tendit une à Rosette. Ne sachant trop comment la manger, elle regarda son hôte qui dévorait avec les quelques dents qui lui restaient.
Rosette qui avait toutes les siennes et fort belles l’imita. Puis, rassasiée, elle lui offrit en dessert les mûres qu’elle avait trouvées. Le sauvage, hocha la tête en lui montrant ses mâchoires crénelées. Sans doute était-ce un sourire…
Puis il frotta ses mains dans sa tignasse, se leva, émit encore quelques grognements et s’en fut, jouant de la flûte et suivi du sanglier. Rosette et le feu s’endormirent en même temps.

samedi 25 septembre 2010

Princesse Rosette (5)

Ce chemin n’était pas meilleur que le premier ; ses hardes ni ses débris de souliers ne la protégeaient plus ; c’est le corps déchiré par les ronces et les pieds en sang qu’elle parvint au sommet ; dans le soleil couchant, elle put voir le fond du deuxième vallon. Pas de cerf blanc, mais un renard assis la queue enroulée autour des pattes qui regardait dans sa direction, malicieusement lui sembla-t-il. Elle se souvint des propos de sa marraine : son grand-père le magicien aimait à changer d’apparence. Elle fut bien vite au fond du vallon, mais du renard, elle n’aperçut que le panache disparaissant dans les broussailles. Elle poussa un gros soupir en se laissant tomber sur des rochers qui bordaient une cascade. Elle était sale, à moitié nue et griffée de partout ; ses boucles blondes ressemblaient désormais aux ronciers qu’elle avait du traverser ; ses pieds n’étaient plus qu’une plaie et ses souliers un souvenir. Ravalant les larmes qu’elle sentait monter à ses yeux, elle chercha de quoi se nourrir et ne trouva rien. Remerciant en pensée le merle, elle croqua les noix qui restaient dans ses poches. Elle était si fatiguée, qu’elle s’endormit sans penser à chercher un abri.
Les oiseaux lui servirent de réveille-matin. La cascade tombait dans un bassin entouré de roseaux. Un saumon s’ébrouait dans l’écume argentée par les rayons du soleil levant. Rosette eut envie d’en faire autant et ôta ce qui lui restait de vêtements. Le saumon nageant devant elle lui fit découvrir des œufs de canne, nichés dans les roseaux. Rosette était princesse mais elle savait gober un œuf. Certaine de n’être vue que du saumon et peut-être du renard, mais allez savoir, elle s’étendit au soleil sur les rochers. Quand elle fut sèche et réchauffée, elle abandonna sa robe en lambeaux, ses souliers désormais inutiles, croqua encore quelques noix et, pieds nus et en jupon, prit la route de la troisième montagne qui s’élevait à l’horizon.

vendredi 24 septembre 2010

Princesse Rosette (4)

Sans attendre, sans prendre ni provisions ni linge de rechange, la jeune princesse entreprit sa quête.
Elle marcha longtemps ; le soir tombait quand elle parvint au pied du premier mont ; la côte était rude, le sentier tortueux et mal empierré ; néanmoins Rosette commença courageusement l’ascension. Arrivée après bien des peines au sommet, le clair de lune lui fit entrevoir dans le fond du vallon un grand cerf blanc à la ramure d’or. Oubliant la fatigue, oubliant le sommeil et le chemin qui serpentait jusqu’en bas, Rosette dévala la pente en droite ligne à travers champs et fourrés. Mais quand elle arriva, échevelée, les vêtements en lambeaux dans la prairie, le grand cerf avait disparu. Déçue, morte de fatigue elle s’écroula sur l’herbe où elle finit après bien des larmes par s’endormir.
Elle s’éveilla toute frissonnante aux rayons du soleil levant. Un grand noyer dont les branches retombaient jusqu’à terre l’avait abritée des vents froids mais la rosée avait trempé les loques qui lui couvraient le corps, ses boucles pendaient lamentablement et il ne restait plus rien de ses jolis souliers de satin. Elle avait faim. Un merle sautillait, piquant du bec les noix tombées à terre ; elle en ramassa. L’oiseau dans un grand frou-frou d’ailes battues, la mena vers un roncier couvert de mûres ; elle en compléta son repas. Puis elle but à une source qui se trouvait là et lava son visage et ses mains tachées de mûres et de noix. Elle ne vit plus aucune trace du grand cerf et se demanda si elle avait rêvé. Devant elle buissonnaient des taillis qu’elle allait devoir traverser pour atteindre le deuxième mont qu’elle apercevait au loin.
Elle allait se mettre en route quand elle entendit une trille impérieuse : le merle, se balançant sur une branche, semblait lui dire au revoir. Elle lui sourit, lui adressa un signe de la main ; le merle siffla de plus belle, puis descendit sautiller parmi les coques de noix tombées. Alors Rosette comprit le message et en emplit ses poches. Le merle siffla cette fois d’un ton satisfait et la jeune fille prit la route du second vallon.

jeudi 23 septembre 2010

Princesse Rosette (3)

« Par ma baguette, Rosette, tu l’as laissée sortir ? réprimanda la fée.
-Je ne savais pas, marraine, je ne savais pas, pleurait Rosette.
-Ma pauvre fille ! J’avais bien dit à ton père que tu étais assez grande pour savoir…
-Savoir quoi, marraine ?
-Assied-toi, dit la fée en désignant à Rosette un arbre mort qui venait de se coucher au bord d’une allée :
« Nous étions trois sœurs : ta mère, celle que tu viens de voir et moi. Cette sorcière est donc ta tante. Notre père est un grand mage, connu pour son savoir ; ton père un jour est venu le consulter. Nous recevions peu de visiteurs et ton père en sa jeunesse était fort séduisant. Nous sommes toutes trois tombées amoureuses de lui mais il devint vite évident que sa préférence allait à ta mère. Nous savions que l’amour d’un homme nous ferait perdre nos dons magiques. Ta mère était amoureuse, la perte de ses pouvoirs lui était indifférente ; en ce qui me concerne, puisque ta mère était l’élue, je me suis consolée en me plongeant dans l’étude afin de perfectionner mes dons. Mais notre sœur, ta tante, eut moins de sagesse : folle de dépit et de jalousie, elle se plongea elle aussi dans l’étude, mais celle des sciences noires, celles qui engendrent le mal. Elle a fait mourir ta mère lors de ta naissance et voulait aussi te détruire.
Notre père pour l’empêcher de nuire et la punir de s’être vouée au mal, l’a changée en grenouille, en recommandant au tien de la tenir toujours enfermée dans cette cabane où personne autre que lui ne devait entrer.
Tu devais connaître la vérité dès que tu serais assez grande pour la comprendre et j’avais prévenu ton père que le temps était venu ; mais il est comme tous les pères il ne voulait pas te voir grandir ! Et voilà, le mal est fait ; je n’y peux plus rien. Seul ton aïeul le magicien pourrait réparer le désastre. Mais il s’est retiré du monde, loin d’ici, par delà les sept monts, par delà les sept vallons. Il ne veut plus avoir affaire aux hommes. Pars à sa recherche, Rosette, il acceptera peut-être de venir en aide à sa petite-fille. Mais ta quête sera difficile car il change souvent d’apparence ; on m’a dit l’avoir vu sous la forme d’un cerf blanc à la ramure d’or, mais il a bien d’autres aspects. De plus, la route est longue et périlleuse ; cependant, puisque ta curiosité est la cause de cette catastrophe, il est juste que tu te donnes un peu de mal pour la réparer. Pars sans plus attendre ; si ton père voit son royaume dans cet état, il pourrait bien en mourir de douleur. »

mercredi 22 septembre 2010

PRINCESSE ROSETTE (2)

Il faisait sombre dans l’appentis dont les volets étaient restés clos ; pourtant Rosette distingua sur une table une vasque pleine d’eau sur le bord de laquelle une grenouille – oh, pas une jolie reinette verte, non ! – mais une grosse grenouille glauque et gluante qui la regardait de ses gros yeux narquois et dont la large bouche s’étirait en un mauvais sourire. Et, effectivement, avant de sauter d’un bond par la porte que Rosette avait laissée ouverte, la grenouille ricana.
Elle plongea dans le bassin au nymphéas ; le silence se fit dans le jardin et la brise même, cessa de faire trembler les feuilles ; on n’entendait plus les oiseaux chanter ni même les abeilles bourdonner .C’est alors que, soulevant, bousculant les calmes fleurs aquatiques, surgit de l’eau une femme épouvantablement belle ; ses yeux avaient des éclats métalliques, sa bouche était plus rouge que l’enfer.
Le silence était de plomb dans le jardin ; les roses n’embaumaient plus ; d’épais nuages passaient devant le soleil et l’ombre s’étendit sur les parterres. La femme effroyable tenait à la main une noire baguette ; tournant sur elle même, elle la secoua sur les arbres et les massifs ; instantanément, des armées de limaces envahirent les carrés de légumes, dévorant fleurs et feuilles, pendant que des troupes de rats dévoraient les racines ; des nuées de pucerons se jetèrent sur les roses et les réduisirent en charpie ; des cohortes de chenilles grimpèrent aux arbres et en firent des squelettes tandis que les vers dévoraient leurs fruits. En quelques instants, le domaine du roi-jardinier fut réduit à néant.
Princesse Rosette atterrée, tremblante, contemplait le désastre ; ses yeux agrandis d’horreur se posèrent sur l’ardoise ; machinalement, elle lut à voix haute la formule magique qui fit au même instant apparaître la fée-marraine ; simultanément, dans un grand envol de satins noirs moirés de traînées pourpres et verdâtres, la sorcière s’effaça dans les airs laissant derrière elle un éclat de rire sinistre qui ressemblait à un hurlement de douleur.

mardi 21 septembre 2010

Princesse Rosette (1)


On ne sait trop quand, on ne sait trop où, vivait un roi jardinier.
Il régnait en despote éclairé sur des massifs à la discipline incertaine ; il aimait beaucoup les roses et avait pour cela baptisé sa fille unique, Rosette.
Princesse Rosette avait perdu sa mère en naissant ; on lui avait donné en compensation, une marraine-fée excellente.
Princesse Rosette était parfaite en tous points sauf un : elle était effroyablement curieuse. Elle voulait savoir de tout le pourquoi et le comment et posait sans arrêt des questions.
« Rosette, Rosette, l’admonestaient son père et aussi sa marraine, la curiosité te jouera des tours ; prends garde à toi ! »
Une chose surtout, ou plutôt un lieu, intriguait particulièrement Princesse Rosette : une cabane tout au fond du jardin où le soir, le roi son père, rangeait ses outils et ses arrosoirs et qu’il ne quittait jamais sans avoir vérifié à plusieurs reprises que toutes les issues en étaient soigneusement fermées.
Aux questions de la curieuse, qui voulait savoir la raison de tant de précautions pour quelques outils somme toute, assez ordinaires, le roi répondait sombrement : « Cela ne vous regarde pas, Princesse, vous le saurez quand vous serez grande. »
Et il refusait toujours de la laisser entrer avec lui dans la cabane.
Vous imaginez bien que Rosette n’avait qu’une idée en tête : ouvrir la porte et regarder ce qu’il y avait là-dedans.
Le temps passant, cela devenait une idée fixe.
Et puis un jour, le roi fut invité à une assemblée de rois-jardiniers : on allait y comparer oignons, semences et boutures et prendre d’importantes décisions concernant les futures plantations des royaumes. Le roi aurait voulu que Rosette vienne avec lui, mais il avait fait très sec cet été-là et la princesse proposa de rester pour surveiller un massif d’hortensias récemment planté et qui avait besoin d’un arrosage quotidien. Le roi ne pût rien objecter et sortit les arrosoirs de la cabane qu’il referma soigneusement.
Puis à son carrosse, il attela l’âne Cadichon, embrassa Rosette en lui recommandant bien d’appeler sa marraine en cas de besoin et il nota sur une ardoise la formule qui la faisait apparaître.
A peine eut-il disparu derrière la haie d’aubépines qui marquait les frontières du royaume, que la curieuse, négligeant les hortensias pour lesquels elle était restée, se mit à fureter dans tout le palais afin de trouver où le roi cachait la clef de la cabane en planches. Peine perdue, le roi, prudent, la gardait toujours accrochée à une chaîne autour de son cou.
Dépitée, Princesse Rosette secoua la porte qui resta inébranlable et même insensible à une volée de coups de pied ; car la princesse, folle de curiosité, perdait une à une ses perfections et devenait en plus de curieuse, coléreuse. Rouge, essoufflée, elle alla s’asseoir au bord d’un bassin et trempa pour se rafraîchir, les mains entre les nymphéas ; l’eau froide lui rendit un peu de calme ; elle se mit à réfléchir tout en regardant la porte close. C’était une porte solide, mais la serrure en était vieille. L’idée surgit : Princesse Rosette courut à sa boîte à couture et revint avec une paire de ciseaux très fins mais extrêmement solides. Introduits dans le trou de la serrure, ils parvinrent sans trop de difficulté à actionner le pène, et bonheur, la porte s’ouvrit !.......

lundi 20 septembre 2010

C'est y pas mieux comme ça?? (fin)

C'est y pas mieux comme ça (fin)
Le jeune et beau braconnier qui ne se trouvait jamais loin de la maison de sa vieille amie, avait entendu l’altercation et ramené le calme à sa manière. Il regarda le loup apaisé :
-« Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
Et voyant la gamine s’approcher et caresser l’animal :
-« Hé dis donc ! Fais attention… c’est un loup, tu sais…
Et la petite agacée :
-« Oui, je sais ! Mais… il joue comme un chien vous savez… et qu’est-ce qu’il va devenir, maintenant que le garde-chasse l’a vu ?
-« Tu as toujours voulu un chien , n’est-ce pas ? dit Mère-Grand à sa petite fille.
-« Tu sais bien que maman n’en veut pas…alors un loup !!!
-« Ce n’est pas drôle de vivre seule, et isolée comme je suis, il me faudrait un gardien…
-« Oh, oui ! Mamy ! garde-le… s’il te plaît…s’il te plaît…
Elle sautait, sautait pendant que le loup pointait son museau vers le panier abandonné.
Le braconnier avait lui aussi le nez subtil et le parfum des charcutailles lui inspirait des idées de casse-croûte…. :
-« Vous ne nous feriez pas un petit café ??
-« Si, si bien sûr… entrez…
Et Mère-Grand ouvrit sa porte ; le loup s’apprêtait à les suivre, mais le jeune homme se retourna, paume de la main face à l’animal :
-« Attends !
Et le jeune fauve subjugué, s’assit. Il les regardait par le porte restée ouverte. La danse des couteaux et des tartines commença.
-« Vous n’avez pas j’espère, l’idée de faire de ce loup un chien ? dit l’homme des bois.
La petite et son aïeule le regardèrent, l’une comme l’autre sourcils froncés.
-« Mais pourquoi pas, dit la plus jeune ?
-« Parce que vous ne pouvez pas le priver de sa liberté ;
-« Sa liberté ! s’indigna Mère-Grand, avec l’autre vieux salopard qui rôde, il l’aura au bout du fusil sa liberté…
-« Faites-moi confiance ! Moi aussi je rôde !
Et la vieille dame se souvint… On racontait qu’autrefois, du temps où les loups étaient nombreux dans la région, le père de l’arrière grand-père du jeune homme parcourait le pays escorté d’une meute de bêtes dont tous n’étaient pas des chiens. On le craignait ; et là, buvant son café et tartinant des rillettes, elle avait à sa table le descendant de l’inquiétant Meneur de Loups.
-« Je vois, dit-elle… dans ce cas, maintenant laissez-le entrer, lui aussi a envie d’un casse-croûte.
Le braconnier fit un signe et le loup vint s’asseoir à ses pieds.
La petite fille s’approcha :
-« Je pourrai venir avec vous de temps en temps ?
-« Si ta grand-mère est d’accord pourquoi pas ? Mais tu feras peur au gibier avec ton bonnet rouge !
-« C’est vrai ! dit l’aïeule, tu es trop grande maintenant, enlève-le.
Et regardant perplexe la corbeille encore pleine de pelotes :
-« Qu’est-ce que je vais faire de tout ça ?
Puis son oeil pétilla :
-« Une couverture, je vais en faire une couverture ! Et quand vous viendrez me voir, cette grosse bête pourra dormir dessus !

dimanche 19 septembre 2010

C'est-y pas mieux comme ça??? (2)

C'est-y pas mieux comme ça. (2)
Et puis il arriva que la branchette vint atterrir tout contre le panier ; le museau pointu en venant la ramasser sentit ses narines se dilater sous l’emprise d’un parfum incomparable. Toutes les senteurs de la forêt qui faisaient habituellement son bonheur ne lui avaient jamais rien offert de tel. Sa langue sortit toute seule d’entre ses dents et des gouttes de salive tombèrent dans l’herbe.
-« Hé là ! toi, sauvageon, ce n’est pas pour toi, çà ! C’est pour ma Mamy ! s’exclama la fillette en garant sa charcutaille.
Le loup s’assit et gémit…
-« Tu as faim ?
Et il remua la queue, ce qui était un mensonge car le bois regorgeait de gibier.
-« Voyons… pas les rillettes, je ne peux pas entamer le pot ! Pas le saucisson…ça se verrait trop… Oh, le pâté… après tout, Mamy ne sait pas qu’il y a du pâté !
La tranche était grosse ; avec un couteau qu’elle avait toujours dans sa poche, l’enfant en fit deux parts et donna la plus grosse au loup qui ne prit pas le temps de la déguster. En une bouchée, le pâté fut avalé et les babines léchées..
-« Bon, ce n’est pas tout ça, assez joué ! Il faut que je me dépêche maintenant. A une autre fois peut-être ?
Et avec regret, elle prit la direction de la maison de sa mère-grand. Or, dans ce bois, deux chemins y menaient et par le plus grand des hasards, le loup prit le second.
Comme il avançait plus vite que la petite fille, il arriva le premier devant la maisonnette.
Mère-grand était aux prises avec son vieil ennemi le garde-chasse. Ils se traitaient de noms que je n’ose pas répéter ici dans une histoire qui sera lue par des enfants.
Il faut maintenant parler un peu de Mère-grand qui n’avait rien de ces aïeules de contes de fées assises à filer au coin du feu. Elle tricotait, certes, mais elle portait des jeans et des baskets, portait courts des cheveux qui semblaient plus blonds que blancs et parcourait tous les jours la forêt environnante pour… désamorcer les pièges du garde-chasse que cela rendait fou furieux.
D’autant plus furieux qu’elle ne touchait jamais à ceux que posait un braconnier de ses amis.
Mais voilà ! Les vieilles dames sont comme ça ! Elles ont leurs préférences, et celle-là préférait le jeune et vigoureux braconnier qui, de plus lui faisait les yeux doux, au moustachu et ventru garde-chasse qui sentait la pipe froide et dont le mauvais sourire était plus édenté qu’un vieux peigne.
-« Allez-vous me fiche la paix, vieux Sotré, criait la dame au garde-chasse qui la menaçait de sa canne !
Le loup, caché dans un fourré, suivait la scène avec intérêt, quand il vit dans l’autre chemin s’avancer un bonnet rouge, coiffant une fillette qui portait un panier. L’intelligent animal comprit immédiatement que c’était la grand-mère de sa petite amie que molestait le garde-chasse. Lui-même en tant que loup n’avait aucune sympathie pour le personnage. Il s’élança en grondant. Le vilain bonhomme se retourna , arma son fusil et visa. La petite fille hurla , se mit à pleurer, la grand-mère était pâle, les poils du loup hérissés ; le garde chasse appuyait sur la gâchette, il allait tirer, quand il poussa un hurlement, laissa tomber son fusil . Un coup était parti, derrière lui, criblant ses fesses d'une volée de petit plomb. Sans prendre le temps de ramasser son arme, il détala , les mains crispées sur le fond de son pantalon.

samedi 18 septembre 2010

C'est-y pas mieux comme ça???

 C'est -y pas mieux comme ça (1)

Il était une fois une mère-grand qui avait vendu sa mercerie. Il lui était resté un gros lot de pelotes de laine rouge, aussi tricotait-elle pour sa petite-fille, des chandails, des chaussettes, des cache-nez, des casquettes, des bérets, des bonnets. Tous les ans, pour son anniversaire, à chaque Noël, quand elle avait de bonnes notes et quelques fois pour rien, la petite recevait un nouveau modèle de bonnet, tricoté ou crocheté dans un nouveau point, mais invariablement rouge. Ses copines à l’école ricanaient et l’avaient surnommé « Le Petit Chaperon Rouge » et ça l’énervait. Une fois, elle avait demandé si pour changer, elle ne pourrait pas en avoir un bleu. « Non, avait répondu la grand-mère, tu aurais l’air d’un Schtroumpf ! ».
Et l’enfant qui savait qu’il est inutile d’argumenter quand un adulte s’imagine avoir raison, n’avait pas insisté.
Un jour, sa mère lui dit : « Il y a un moment qu’on n’a pas vu ta grand-mère ! Remarque, ça nous fait des vacances (c’était la mère de son mari), en revanche, je voudrais être certaine qu’elle n’est pas malade. Demain, c’est mercredi ; tu iras la voir ! »
« Aïe !se dit la gamine, je vais récolter un nouveau bonnet ! »
Le lendemain, la maman mit dans un panier un saucisson, du pâté et un petit pot de rillettes. La grand-mère habitait dans un endroit isolé de l’autre côté de la forêt ;
-« Ne traîne pas en route, dit la mère, et ne parle pas aux gens que tu ne connais pas ! »
« Pas de danger que je parle à quelqu’un pensait l’interpellée, il ne passe jamais personne sur cette… ptn… de route… »
Quant à traîner, elle avait bien l’intention de ne pas se presser. Et la voilà en route, son bonnet sur la tête et son panier au bras, sur le chemin de la forêt. Dès qu’elle fut hors de vue, elle commença son jeu favori : jouer avec son chien !
Elle aurait tant aimé avoir un chien, mais sa mère n’en voulait pas : « Un chien c’est sale, ça met des poils partout, impossible d’avoir un parquet ciré, ils laissent les traces de leurs pattes boueuses, ils font des trous dans le jardin pour enterrer leurs os, ils rongent les pieds des chaises, ils dévorent les chaussures et ils ont des puces ! Pas de chien ici ! »
Aussi, dès qu’elle était seule, elle sifflait son chien imaginaire, lui faisait faire le beau, lui lançait un bâton et justement, elle venait de trouver un très beau bâton, pas trop large, court, juste le bon bâton pour un chien. Et elle le lançait… mais un chien imaginaire ne rapporte pas ; alors elle lançait, ramassait, relançait ; elle finit par se lasser et jeta le beau bâton dans les fourrés.
Et c’est alors que le bâton bondit vers elle calé en travers de la gueule d’un… mais oui, d’un chien… un jeune…un chien gris aux étranges yeux jaunes ; des yeux qui auraient pu faire peur à une petite fille qui n’aurait pas eu tellement envie d’un chien . Tellement envie qu’elle se refusait tout d’abord à reconnaître l’animal dont elle avait pourtant vu le portrait dans tant et tant de livres, tant et tant de films. Car c’était bien un jeune loup qui venait de sortir des fourrés ; un jeune loup qui avait perdu sa meute, et qui s’ennuyait tout seul. Et la petite dut se rendre à l’évidence, ce n’était pas un chien qui se trouvait en face d’elle.
Elle avait beau avoir appris que les loups ne mangent plus les petites filles, qu’au demeurant, ils n’en ont jamais mangé vivantes, ( Les loups préfèrent de beaucoup l’agneau ou le chevreau, ce qui prouve que les contes ne racontent pas toujours n’importe quoi.), en voir un vrai comme ça brusquement, au milieu du chemin, rapportant un bâton qu’on avait lancé à un chien imaginaire, ça fait un peu peur.
Pourtant le loup, comme aurait pu le faire un chien ordinaire, d’un balancement de tête, lançait le bâton à ses pieds en remuant doucement la queue. La petite fille posa son panier ; le loup coucha ses pattes avant, la croupe en l’air, le fouet joyeux. Elle lança le bâton vers le ciel ; d’un bond, il le rattrapa au vol, le posa à ses pieds. La partie continua, le bâton volait en tous sens, la petite riait aux éclats et le loup gémissait de bonheur.

vendredi 17 septembre 2010

YAQUEQUAM (fin)


Depuis que le village avait Yaquequam pour chef, tout le monde était heureux, chacun mangeait à sa faim. Mais le sorcier qui était un ami de l’ancien chef était comme lui un agent des mauvais esprits. Yaquequam le surveillait et l’empêchait d’exercer se maléfices. Bien sûr, tout le monde était heureux, tout le monde avait à manger, mais il est bien rare que sur tout un village, on ne trouve pas une poignée de mécontents. Le sorcier allait partout, insinuant :
« Mais d’où vient ce jeune homme ? Qui est-il ? Quelqu’un connaît-il sa famille ? Il est trop jeune pour être notre chef ! Et pourquoi le chef n’est-il pas quelqu’un de notre village ? »
Tout le monde aimait Yaquequam, mais on commençait à oublier la faim et la misère, alors certains dirent :
« C’est vrai, mais que faire ? Ses pouvoirs magiques sont grands ! »
Alors le sorcier confia aux mécontents une flèche qu’il avait préparée à sa manière :
« Attendez la nouvelle lune ; vous le frapperez avec cette flèche et il mourra. »
Yaquequam n’ignorait rien du complot, mais il ne voulait pas punir le village pour quelques traîtres ; il ne fit rien. Alors, quand la nouvelle lune arriva, les mauvais hommes tuèrent le bon chef. A peine leur forfait accompli, ils furent saisis d’angoisses et affolés et au lieu de brûler le cadavre selon la coutume, ils le jetèrent dans le fleuve. Puis tout le village replia les tentes et s’enfuit.
Ils ignoraient que Yaquequam était né au fond des eaux et que sa mère y vivait encore ; ils ne se doutaient pas que dans l’eau, Yaquequam allait retrouver la vie.
Quand il sentit les petits poissons lui mordiller les orteils, il leur dit :
« Hé, arrêtez ! Qu’est-ce que vous faites ? Vous voulez me manger ? »
« Mais non ! Nous voulons juste te réveiller pour que tu puisses retourner sur terre. »
Yaquequam nagea jusqu’à la surface et atteignit la rive à l’ancien emplacement de son village ; il vit que tout le monde était parti et dut suivre les traces pendant plusieurs jours. A chaque campement, il trouvait des morts, tantôt trois, tantôt sept, ou encore neuf :
« On dirait que ça va mal pour eux ! » pensa-t-il.
Enfin, il aperçût la tribu. Loin en arrière, une vieille femme lourdement chargée suivait avec difficulté. Elle avait la tête et les jambes enveloppées d’écorces. C’était sa grand-mère :
« Grand-mère, pourquoi pertes-tu une si lourde charge ? N’as-tu pas de chevaux, ni de travois ? »
« Qui ose m’appeler grand-mère ? Vous avez tué mon petit-fils, vous m’avez tout pris et vous m’avez transformée en bête de somme ! »
Yaquequam se plaça devant elle, alors elle le reconnut.
« Pourquoi tous ces cadavres grand-mère, partout où vous avez passé ? »
« Ah ! Quel malheur mon garçon ! Chaque jour des malades, chaque nuit des morts ! Et le sorcier qui ne fait rien ! »
« Qui te fait porter, grand-mère, une si lourde charge ? »
« C’est ce maudit sorcier ! Il nous a tous réduit à la misère mais il s’acharne sur moi. Chaque soir, quand j’ai dressé ma tente, il la prend et m’empêche d’y rentrer. Et moi, seule dans l’obscurité je ne sais plus où aller dormir. Il défend aux chasseurs de me donner du gibier et chaque jour un peu plus, je meurs de faim »
« Laisse ton fardeau grand-mère ; poursuis ton chemin et ce soir, installe ta tente comme d’habitude. Je te rejoindrai le moment venu. »
La vieille fait comme son petit-fils lui a dit, et comme chaque soir, le sorcier vient la tourmenter. Alors, Yaquequam surgit, empoigne le mauvais homme, le traîne jusqu’à la rivière et lui maintient la tête sous l’eau jusqu’à ce qu’il soit noyé. Les autres villageois honteux et effrayés courent se cacher. Mais Yaquequam ne voulait pas se venger ; il leur dit de rentrer dans leurs tentes et pour la première fois depuis longtemps, il n’y eut pas de morts cette nuit là.
Le lendemain matin, les hommes brûlèrent la tente du sorcier ainsi que tous ses biens y compris son sac magique. Puis ils tinrent conseil et demandèrent à Yaquequam d’y assister. Les voilà tous assis en cercle dans la tente, la tête penchée sur la poitrine ; un vieux guerrier, le plus sage du village, estimé de tous, se lève ; il jette sur le feu une poignée d’herbes odorantes dont la fumée parfume la tente ; il étend ses mains sur la fumée, puis les croise sur sa poitrine et entonne un chant sacré que tous reprennent avec lui. Quand le chant est fini, il se tourne vers Yaquequam :
« Chef, regarde-nous ! La tristesse habite nos cœurs, la cendre couvre nos têtes ; nous sommes devenus impurs. Aussi, tous, guerriers et jeunes gens allons peindre nos faces, enfourcher nos chevaux et prendre le sentier de la guerre afin de nous purifier. Nous te prions de protéger nos femmes et nos enfants jusqu’à notre retour. »
Yaquequam leva les bras et prononça ce discours :
« Guerriers, je suis venu dans votre village ! Je vous ai délivré de votre mauvais chef et j’ai vécu quelque temps parmi vous. Je suis parti et revenu pour tuer votre sorcier qui était lui aussi un mauvais homme, vous le savez. Mais il vaut mieux que nos chemins se séparent. Vous partez sur le sentier de la guerre et je ne vous accompagne pas ; pourtant mon cœur sera près de vous dans les combats. Je resterai avec vos femmes et vos enfants, comme vous me l’avez demandé, jusqu’à ce que vos éclaireurs paraissent sur la colline annonçant votre retour. Soyez heureux sur le sentier de la guerre ! Puissiez-vous trouver toujours de bons terrains de chasse et des campements bien abrités ! Puissiez-vous être épargnés par la faim et les maladies ! Protégez vos cœurs afin que nulle mauvaise pensée ne s’y glisse. N’oubliez pas le Soleil, l’Eau et les autres puissances de la Nature dans vos sacrifices. Je vous tends la main une dernière fois ; nous ne nous verrons plus mais je ne serai jamais sourd à votre appel. Ce que ma bouche vous dit, mon cœur le ressent ! Adieu ! »
Quand les guerriers revinrent, Yaquequam conduisit sa grand-mère avec lui dans la profondeur des eaux. C’est là qu’il vit désormais avec elle et ses parents.

jeudi 16 septembre 2010

3- COMMENT YAQUEQUAM DEVINT CHEF-



Un jour, Yaquequam dit à sa grand-mère :
« Pourquoi vivons nous toujours seuls ? N’existe-t-il pas d’autres hommes ? »
« Si, mon fils, au bord du fleuve, il y a un village ; mais le chef est un méchant homme. »
Pour Yaquequam, le désir de rencontrer les hommes est plus fort que la crainte du méchant. Il se rend au bord du fleuve. Il entre dans la première tente du village, où se trouve une vieille femme. Il la salue :
« Bonjour Grand-Mère. J’ai une faim énorme ! »
La vieille lui répond :
« Mon fils, nous avons tous faim, ici. »
Elle tend néanmoins au jeune homme quelques baies séchées dans une écuelle ; il proteste :
« J’ai dit que j’avais très faim ! »
« Je n’ai rien d’autre à te donner ; tout le monde a faim ici. Là-bas, dans la grande tente, le chef garde toute la nourriture mais personne n’ose lui en réclamer. »
« Je vais lui en demander, moi. »
Yaquaquam entre dans la grande tente ; il se plante devant le chef, le salue et dit :
« La nuit est tombée et j’ai fait un long voyage qui m’a ouvert l’appétit ; puisqu’il paraît que toi seul a de quoi manger, je voudrais partager ton repas. »
« Qui es-tu ? Celui qui veut manger avec moi doit d’abord lutter contre moi. »
Ce chef avait de grands pouvoirs qu’il tenait des forces de la nuit ; Yaquaquam se recouvre du clair de lune qui à cette heure commence à inonder la terre. Sa massue solidement plantée dans la main, il fait face à son adversaire. Le chef se rue sur lui, mais chaque coup porté rend Yaquequam plus grand et plus fort. Le chef alors envoie des serpents contre lui. Yaquequam aussitôt, protège ses jambes de cuissardes de pierre sur lesquelles les serpents se cassent les dents.
Mais voilà que le chef déchire la terre, creusant un gouffre noir et profond que Yaquequam comble immédiatement de troncs d’arbres. Voyant cela, le chef s’élève jusqu’à la cime des arbres ; Yaquequam s’envole dans les nuages d’où il crible de flèches son adversaire. Voyant ses sortilèges impuissants, le chef prend peur ; il propose une trêve :
« Allions-nous. Si nous réunissons nos forces, personne ne pourra rien contre nous. »
Yaquequam refuse :
« Ta force, tu ne l’emploies que pour faire le mal ; je ne veux pas vivre avec toi. »
La lutte reprend impitoyable ; Yaquequam recouvre ses mains de gants de pierre qui écrasent les chairs jusqu’à l’os, pourtant il n’arrive pas à tuer le mauvais chef. Longtemps le combat reste indécis ; enfin, par hasard, Yaquequam attrape la main gauche de son adversaire et lui écrase le bout du petit doigt. Or, c’était dans ce bout de petit doigt que se cachait la source de vie du mauvais qui tombe raide mort.
Yaquequam alla chercher sa grand-mère, l’installa dans la grande tente et devint le chef du village.

Les Chouchous