Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

dimanche 28 juin 2009

Le Grand Rouillé – d’après Grimm (der Eisenhans)



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Un roi riche et puissant vivait dans un château magnifique, à l’orée d’une sombre forêt
Un jour, un de ses chevaliers partit chasser le chevreuil ; le soir venu, il ne rentra pas. Le roi, pensant qu’il avait eu un accident, envoya deux autres chevaliers à sa recherche ; on ne les revit pas.
Le troisième jour, toute une troupe fut envoyée à la recherche des trois disparus. On explora la forêt jusque dans les plus touffus de ses ronciers .Jamais on ne revit ni hommes, ni chiens, ni chevaux.
Personne alors n’osa plus se risquer dans la forêt qui demeura déserte et silencieuse. De temps à autre, on pouvait voir un aigle ou un faucon survoler la cime des grands arbres noirs.
Des années passèrent….
Et puis un chevalier se présenta ; le roi lui offrit l’hospitalité. Au bout d’un certain temps, le chevalier demanda au roi pourquoi on ne servait jamais de gibier, alors que la forêt était si proche et qu’on pouvait voir les cerfs, les biches et les chevreuils s’aventurer jusqu’aux abords du château. Le roi raconta comment ses hommes avaient disparu. Le chevalier n’eut plus qu’une envie : aller chasser dans la forêt.
« Non, lui dit le roi, j’ai trop de sympathie pour vous et je ne tiens pas à ce que vous disparaissiez comme les autres. – Ne craignez rien, sire ; j’ignore ce qu’est la peur et mon devoir de chevalier me commande d’aller voir ce qui se passe dans ces bois. »
Navré, le roi le laissa partir ; suivi de son chien, il s’enfonça dans les taillis. Le chien courait de droite et de gauche, le nez au sol, agitant la queue ; soudain, il s’immobilisa, une patte en l’air et fila comme une flèche sur la piste d’un gibier ; il fit à peine quelques foulées et pila net devant une mare qui barrait le chemin. Un bras jaillit dans une gerbe d’eau éclaboussant les alentours, saisit le chien et l’entraîna avec lui dans la vase. Le chevalier sauta de son cheval, de son épée il fouilla la mare dans l’espoir de sauver son chien. Il lui semblait que plus il fouillait plus l’eau était profonde et plus la vase l’attirait ; avant d’être englouti, il fit demi-tour et rentra au château pour trouver de l’aide.
Il revint suivi de trois hommes portant des seaux ; ils entreprirent de vider la mare et lorsqu’ enfin ils eurent atteint le fond, ils y trouvèrent avec les restes du chien et un certain nombre d’ossements, un homme sauvage, aux cheveux en broussaille lui tombant jusqu’aux genoux et qui avaient comme sa peau, la couleur du fer rouillé. Il se débattait comme un fauve mais ils parvinrent à le ficeler, à l’attacher à une poutre et il fut ainsi porté jusqu’au château.
Tout le monde s’assembla pour voir passer l’étrange cortège. C’était donc là le monstre qui avait fait périr les chevaliers partis chasser dans la forêt ! Le roi le fit enfermer dans une forte cage de fer qu’il plaça au milieu de la cour ; il en cacha la clef et interdit à quiconque, sous peine de mort de chercher à délivrer le prisonnier.
Le roi et sa cour purent retourner chasser dans la forêt.
Le fils du roi avait huit ans ; comme tous les enfants de cet âge, il jouait à la balle dan la cour : un jolie balle de prince, toute en or. Un jour, en la faisant rebondir, il l’envoya par mégarde dans la cage de l’homme hirsute. Il se campa devant lui et demanda : « Rends-moi ma balle. – Pas question ! Ou alors, il faut m’ouvrir cette porte ! – Ah ! non. Le roi mon père l’a défendu ! »
Et tout dépité, l’enfant s’éloigna Le lendemain, comme il voulait jouer à la balle, il revint la réclamer ; l’homme hirsute lui dit : « Ouvre ma porte ! » et l’enfant refusa.Le troisième jour, le roi et toute la cour étaient à la chasse ; il ne restait pas grand monde au château. Le gamin revint devant la cage pour demander sa balle ; l’homme refusa encore, sauf évidemment, si l’enfant lui ouvrait la cage : « Je ne veux pas ! et d’ailleurs,je ne sais pas où est la clef ! »
L’homme sourit derrière ses poils et dit : « Moi, je le sais : elle est sous l’oreiller de ta mère. Elle est à la chasse, tu n’as qu’à la prendre . Personne n’en saura rien. »
Le petit qui avait très envie de récupérer sa balle, oublia la défense du roi et courut chercher la clef.
Tout était rouillé : la clef, la cage et le serrure et il eut bien du mal avec ses petits doigts de venir à bout de l’entreprise. Enfin, il y parvint, non sans s’être tordu un doigt qui lui faisait très mal. Une fois la porte ouverte, l’homme sauvage jeta la balle à l’enfant et prit ses jambes à son cou. L’enfant à ce moment, prit conscience de sa faute ; il eut peur de la colère de son père : « Sous peine de mort » avait dit le roi ! Il rappela le sauvage : « Protège-moi, implora-t-il. » l’homme revint sur ses pas, prit l’enfant, le mit sur ses épaules et courut jusqu’à la forêt où tous deux disparurent.
Le roi, au retour de la chasse, vit la cage ouverte et le prisonnier disparu. D’une voix terrible,il questionna la reine. Elle se mit à trembler et alla chercher sous son oreiller la preuve de son innocence. Mais la clef avait disparu et leur fils était également introuvable. On le chercha partout ; puis le roi, voyant la balle d’or abandonnée dans la cour, comprit ce qui était arrivé ; une grande tristesse s’abattit sur la cour…

Au cœur de la sombre forêt, l’homme hirsute posa l’enfant à terre et lui dit : « Tu ne peux plus désormais, retourner chez ton père. Puisque tu as pris ce risque pour me délivrer, je vais te garder avec moi. Tu ne manqueras de rien ; j’ai de l’or et des trésors en grand nombre ; personne sur cette terre n’est plus riche que moi et personne n’a plus de pouvoirs. Je me nomme Jean le Rouillé. Fais scrupuleusement tout ce que je te demande et nous nous entendrons bien. »
Puis, comme l’enfant était triste et fatigué, il lui fit un lit de mousse et de feuilles où il s’endormit.
Le lendemain, le sauvage le mena à une source et lui dit : « Vois comme cette eau est claire et transparente ; aucun corps étranger ne doit la toucher. Tu vas t’asseoir là, au bord et veiller à ce que rien ne la souille. Je viendrai ce soir et je verrai si tu as fait ton devoir. »
L’enfant s’assit au bord de l’eau ; il regardait frétiller de petits poissons dorés, de minces serpents évoluaient au milieu d’algues dorées comme eux ; il surveillait les brins d’herbes, les feuilles, les pierres, afin qu’aucune ne tombe dans la source, même, il écartait les libellules et les papillons qui auraient pu se poser à la surface de l’eau. Soudain le doigt que la veille, il avait blessé en ouvrant la cage, se mit à lui faire terriblement mal. Sans réfléchir, il le trempa dan l’eau fraîche afin de le soulager. Très vite il le retira, mais le doigt était devenu doré ! il frotta et frotta, mais en vain : il avait un doigt en or !
Le soir ramena Jean de Fer ; l’enfant mit les mains dans son dos : « N’est-il rien tombé dans la source ? – Non ! Rien… rien du tout ! – Montre-moi tes mains ! –
L’enfant tout tremblant, montra ses mains ; « Ah, ah ! tu as donc trempé ton doigt dans l’eau ! – Je vous demande pardon ! C’est le doigt que j’ai blessé hier en ouvrant la cage. J’avais si mal et j’ai voulu le rafraîchir… - Bon ! je ne te dis rien pour cette fois, mais ne recommence pas ! J’ai juré que rien ne souillerait cette source ; ne me fais pas manquer à ma parole. »
Le roi venait de rentrer et sa fille le félicitait pour sa victoire. « Je n’y suis pour rien, avoua-t-il ; un chevalier inconnu et sa troupe sont venus à la rescousse quand nous étions sur le point de succomber. – Où est-il ? Qu’est-il devenu ? – Il a mis nos ennemis en fuite, puis il a disparu ? – Et le jeune jardinier, qui voulait nous aider ? » . On le lui montra , qui entrait dans la cour, clopin-clopant, sous les rires et les moqueries des soldats : « Où était-tu caché,pendant la bataille, vaillant pourfendeur de légumes ? – J’ai fait de mon mieux, répondit-il simplement. » Et les autres se moquèrent de plus belle.

Le roi, pour célébrer la victoire décida d’une grande fête que devrait durer trois jours et trois nuits. Il donna à sa fille une pomme d’or à lancer parmi les chevaliers, celui qui parviendrait à l’attraper serait son époux. « Qui sait, pensaient le père et la fille, Peut-être le chevalier inconnu viendra-t-il ? Et peut-être qu’il aura la pomme d’or ? »
Quand il apprit ces nouvelles, le jeune jardinier se rendit dans la sombre forêt ; il appela trois fois le Grand Rouillé : « Que veux-tu ? – Aide- moi à attraper la pomme d’or de la fille du roi. – Tu l’as déjà ! Mais tu dois te vêtir d’écarlate et un renard doit t’accompagner. »
Le premier jour des fêtes, il se mêla aux autres chevaliers, et quand la fille du roi lança la pomme, il s’en saisit adroitement, mais la laissa et s’enfuit.
Le deuxième jour, le Grand Rouillé l’équipa tout de blanc et d’argent et il entra en lice sur un cheval également tout blanc. Personne ne fit particulièrement attention à lui ; il attrapa la pomme, la laissa et s’enfuit. Le roi était furieux.
« Ca ne peut pas durer ! Ce chevalier doit me saluer et me dire son nom ! Si demain il recommence, qu’on le poursuive et qu’on le fasse prisonnier ! »
Le troisième jour, c’est vêtu de noir et muni d’une pièce de monnaie qu’il renouvela son exploit. Les hommes du roi le poursuivirent mais il leur échappa. Pourtant l’un d’eux, avec sa lance, l’avait blessé au mollet ; son cheval bousculé fit un écart, son heaume tomba libérant ses cheveux d’or . Les soldats émerveillés vinrent raconter cela au roi.
la fête était finie et le lendemain matin, la fille du roi se rendit dans le parc et demanda au jardinier où était cet apprenti qui lui apportait des fleurs. « Dans le potager, probablement ; il travaille , mais il est rentré tard hier au soir. Il trop fait la fête et le voilà bien fatigué. Tenez, regardez-le, il laisse mes enfants jouer avec trois pommes d’or qu’il a gagnées. Le fille du roi s’en fut conter la chose à son père qui convoqua le jeune homme. Il se présenta comme toujours, le turban sur la tête, mais la fille du roi qui s’était cachée, le lui ôta par surprise. Les cheveux d’or resplendissaient devant toute la cour émerveillée.
« C’est donc toi, le chevalier qui est venu à la fête chaque jour avec un habit différent ; c’est toi qui as gagné les trois pommes ! – Oui, dit-il en les sortant de ses poches : les voici. Et voici mon mollet blessé par un de vos gardes. Je suis aussi le chevalier qui vous a aidé à gagner la bataille. – Pourquoi dans ce cas, rester jardinier ? Dis-nous qui est ton père ! »
Le jeune homme alors, raconta comment il avait du fuir le royaume paternel, comment il avait doré sa chevelure . Il dit aussi qu’il avait un protecteur riche et puissant. »
« Je m’en doute , dit le roi. Puisque tu m’as aidé, que puis-je à mon tour faire pour toi ? – Donnez-moi sire, si elle le désire, votre fille en mariage. »
La princesse, sans attendre la réponse du roi son père, alla vers le jeune homme et l’embrassa : « Je savais, dit-elle, rien qu’à voir ses cheveux qu’il était plus qu’un simple jardinier. »
On fit les noces auxquelles assistèrent les parents, trop heureux de retrouver le fils qu’ils croyaient perdu à jamais. Au moment de passer dans la salle du festin, les portes s’ouvrirent, les musiciens firent silence : on vit entrer, couronne en tête , un imposant personnage suivi d’une nombreuse escorte. Il prit dans ses bras le jeune prince et déclara : « Merci à toi qui m’as libéré ! Victime d’un sort, j’étais devenu le Grand Rouillé, l’homme des bois, l’homme sauvage. Ta sagesse et ta vaillance ont vaincu le sortilège ; désormais, tous mes biens, toute ma puissance t’appartiennent !




3 commentaires:

anne des ocreries a dit…

à oui mais à huit ans hein....ouh là là...et c'est fou ça, il n'avait qu'une seule balle ce petit prince ???

P a dit…

Oui, mais elle est en or!
PP

anne des ocreries a dit…

n'empêche ! quel radin le roi son père !

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